Un exutoire graphique et narratif
Georges Bess propose, dans ce diptyque, une adaptation libre d’Au cœur des ténèbres, un court roman de Joseph Conrad dont l’intrigue se déroulait en Afrique, à la fin du XIXe siècle sur un fleuve qui pourrait être le Congo, le romancier ayant parcouru cette région.
Il transpose une partie de cette trame dans un futur au cours de la colonisation spatiale.
Des individus puissamment armés semblent stupéfaits par ce qu’ils voient dans cette jungle luxuriante. Des silhouettes humaines sont perchées sur des branches. L’une d’elle fait un geste qui déclenche une riposte démesurée et outrancière. Un narrateur se demande comment ils ont pu en arriver à de pareilles extrémités et propose de revenir deux mois auparavant.
Les hommes ont essaimé dans l’univers, transportant d’interminables guerres de religions. Un corps expéditionnaire débarque sur la planète Arcadia, venant de Terra. Deux expéditions sont déjà venues sur cette planète pour disparaître sans laisser la moindre trace. Pour cette troisième et dernière tentative, les autorités envoient des mercenaires d’élite, quatre prêcheurs, des esclaves ainsi que Ishoa, le protégé de Sir Raleigh, accompagné de Maki. Dès leur arrivée, tous les instruments de communication tombent en panne. Ils sont livrés à eux-mêmes et n’ont d’autres choix que poursuivre l’exploration, une exploration riche en découvertes peu plaisantes, voire détestables…
Georges Bess, pour son scénario, construit une galerie de personnages étoffée, mais qui suscite peu la sympathie. Il propose quatre prêcheurs, des religieux odieux, imbus d’eux-mêmes, de leur importance soutenus par une structure qui garrote la liberté de pensée. On retrouve beaucoup des scènes qui ont pu se dérouler tant en Afrique qu’en Amérique du Sud lors des colonisations et des conversions forcées. Il met en toile de fond, des guerres de religion interplanétaires, l’évangélisation contrainte de toutes formes de vie consciente.
Il brosse des portraits monstrueux de ces inquisiteurs. Mais le scénariste place, en contrepoint, deux individus qui ont raison gardée et qui tentent d’introduire un zeste d’humanité dans le délire des prêcheurs, mais aussi dans celui des soldats, d’anciens bagnards devenus mercenaires. On est en présence de quelques scènes brutales quand les porteurs de la parole divine se font charrier par des esclaves et qu’ils se plaignent, avec force soupirs et pseudo malaises, des inconvénients dus à la chaleur. On aborde ici des sommets d’humour noir et grinçant.
Avec la précession des équinoxes, le scénariste introduit des belles notions de physique et d’astrophysique.
La mise en images est à la hauteur des textes avec une belle inventivité tant dans la mise en scène, dans la faune et la flore, que dans la galerie des individus. Ceux-ci sont le résultat d’une étude approfondie des caractères, de l’essence du rôle qu’ils ont à tenir. On se régale, on se révolte, on s’apitoie ou on se désespère de la nature humaine.
Un premier tome d’une belle tonicité tant dans le scénario, extrêmement fouillé et dense, dans les apports techniques qu’en péripéties avec un dessin agrémenté par une mise en couleurs de Josie de Rosa. On attend la suite avec une impatience certaine, le second tome est annoncé pour le mois de juillet.
lire un extrait
serge perraud
Georges Bess (scénario et dessin), Josie de Rosa (couleur), Amen – t.01 : Ishoa ou la précession des équinoxes, Glénat, label “Comix Buro”, février 2021, 64 p. – 14,95 €.