Salle d’attente

Les gueu­le­ments des parias sont les sco­ries dou­lou­reuses de la res­pi­ra­tion de notre société

Deux ans après Fac­tory 2, spec­tacle ins­piré de Warhol, le met­teur en scène polo­nais Krys­tian Lupa, basé à Lau­sanne, donne à la Col­line un spec­tacle phare de l’auteur sué­dois Lars Norén : Salle d’attente est adapté de Caté­go­rie 3.1, for­mule par laquelle la ville de Stock­holm désigne les mar­gi­naux. Un tra­vail propre mais dont on peut dou­ter qu’il pro­duise les effets de décons­truc­tion attendus.

Les barges aspé­ri­tés de la marge

On ne sait pas vrai­ment quand ça com­mence. Dans la pénombre, deux acteurs juchés sur une table semblent jouer avec des allu­mettes : ils se shootent avec force dif­fi­cul­tés, scène qui revient plu­sieurs fois au cours du spec­tacle. De grands écrans vidéo sur­plombent la scène ; ils reçoivent deux images pro­je­tées soit en double, soit en contraste entre elles et avec l’action prin­ci­pale. Ils captent l’attention et donnent du relief aux per­son­nages, qu’ils mettent volon­tiers dans des situa­tions légè­re­ment déca­lées, comme de confi­dence, par rap­port à la scène cen­trale ; à tra­vers des dis­cours fra­giles et par moments assez émou­vants, sont intro­duits des doutes et des flot­te­ments qui inter­rogent avec quelque acuité l’identité de leurs locu­teurs.
Le décor sor­dide de sous-sol désaf­fecté abrite des com­por­te­ments com­pul­sifs, véhé­ments, qui accom­pagnent des mono­logues à la logique vague, par­fois très incer­taine. Un gigan­tesque flot de mots téles­copent leur sens. Lars Norén pro­fite de situa­tions qui res­tent tou­jours en par­tie incon­trô­lées pour éla­bo­rer des frag­ments de dis­cours cri­tique de nos sociétés.

Une scène assez dure est fil­mée en direct, repro­duite sur les écrans qui sur­montent le pla­teau. Le tra­vail de Krys­tian Lupa, qui consiste à conduire les acteurs à s’approprier leur per­son­nage, pro­duit ses effets : ils jouent juste, avec un enga­ge­ment à toute épreuve, sans pathé­tique. La nudité des corps fra­gi­lise encore la pré­ca­rité des per­son­nages. Le spec­tacle res­ti­tue bien le cli­mat de vio­lence et de semi-démence propre aux états mar­gi­naux, et illustre le lent et inexo­rable glis­se­ment dans la déso­rien­ta­tion.
Pour­tant la repré­sen­ta­tion reste pesante, ne semble pas vrai­ment trou­ver les res­sorts de son effi­ca­cité. Elle est en effet tra­hie par des aspects redon­dants et peu dyna­miques. Les drames se repro­duisent sans des­si­ner de pers­pec­tive pré­gnante, sinon une mon­tée sourde de l’inquiétude. Les effets de brouillage sont mul­ti­pliés, à terme le sens ne cesse d’être inter­rogé sans que l’interrogation ne pré­tende faire sens.
C’est peut-être que les per­son­nages, par nature de pas­sage, manquent un peu d’épaisseur. Les plus atta­chants sont sans doute les moins déjan­tés, ceux qui res­sor­tissent d’une « thé­ra­pie » que nous savons inter­mi­nable. A terme la mort aura décimé les pro­ta­go­nistes du drame de façon insen­sible, en leur ôtant ce qui était leur seule pré­ro­ga­tive, la parole. Et la pièce éteint son sombre éclai­rage sans plus de céré­mo­nie qu’elle ne s’était ouverte. Les gueu­le­ments étouf­fés des parias sont les sco­ries dou­lou­reuses de la res­pi­ra­tion de notre société.

chris­tophe giolito

Salle d’attente
libre­ment ins­piré de Caté­go­rie 3.1 de Lars Norén.

texte, scé­no­gra­phie, lumière et mise en scène Krys­tian Lupa

avec Anthony Boul­lon­nois, Audrey Cave­lius, Claire Deutsch, Thi­baut Evrard, Pierre-François Garel, Ade­line Guillot, David Houri, Aurore Jecker, Char­lotte Krenz, Lucas Par­tensky, Guillaume Ravoire, Lola Ric­ca­boni, Mélo­die Richard, Alexandre Ruby, Mat­thieu Sam­peur

Au théâtre de la Col­line, 75020 Paris, Grand Théâtre du 7 jan­vier au 4 février 2012, durée 3h10 (entracte com­pris)
tra­duc­tion du sué­dois Katrin Ahl­gren et Jacques Serena
assis­tant à la mise en scène Lukasz Twar­kowski ; col­la­bo­ra­teur artis­tique Jean-Yves Ruf col­la­bo­ra­teur lumière Zvez­dan Milj­ko­vic ; son et musiques ori­gi­nales Fré­dé­ric Morier assis­tant son Joce­lyn Rapha­nel ; cos­tumes Piotr Skiba ; vidéo Jean-Luc Mar­china assis­tants vidéo Bap­tiste Milési, Marc Vau­droz assis­tants à la scé­no­gra­phie Tho­mas Bei­mowski, Simira Raeb­sa­men pro­duc­tion Théâtre Vidy-Lausanne ; copro­duc­tion Les Nuits de Four­vière /département du Rhône ; La Col­line — théâtre natio­nal, MC2 : Gre­noble ; avec la par­ti­ci­pa­tion artis­tique du Jeune Théâtre Natio­nal, avec le sou­tien de l’Institut Polo­nais de Paris.

Tour­née :
MC2 Gre­noble du mardi 7 au samedi 11 février 2012 Equi­noxe — Châ­teau­roux le jeudi 16 février 2012 Théâtre de l’Archipel — Per­pi­gnan les mardi 28 et mer­credi 29 février 2012.

Lars Norén, Caté­go­rie 3.1, L’Arche, mai 2000, 238 p.-, 17,50 €

Leave a Comment

Filed under Non classé, Théâtre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>