Rakotzbrücke, le pont du diable allemand situé à Kromlau
Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour support un cahier Conquérant de 90 pages à petits carreaux; il est manuscrit jusqu’au moment où je l’écris de nouveau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la possibilité donnée à l’écrivain de, tout en parlant de lui, tenir un discours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des principes d’identification auxquels je prête foi.
Fragment XV ou Le souffle
Je ne sais écrire avec précision, décrire le sentiment du souffle. Et depuis cette difficulté, écrire la méditation.
Non pas que je ne puisse utiliser le souffle comme un moment de fusion en surcroît, mais par la puissance de cette bouffée, de cette puissance infinie que donne l’emplissage de soi par le souffle, impression de la limite dans l’illimité.
Là : l’unité de soi et de la double nature de cet élan intérieur conduisant à une sorte de suffocation bienheureuse. Je suis par la suite entraîné par une force, dont le statut est ambigu.
Il appartient à la fois au monde physiologique, à la physiologie du soufflement, et au bruit qui ne bruit, à la valeur morale de ce secret alchimique.
De plus, le caractère soudain et presque imprévisible de ce vent qui s’engouffre ici et dont les conséquences sont à mettre au rang de cette respiration double, qui ne fait qu’inspirer bien au-delà de la vraie exhalaison de l’air.
L’air est absent dans la manifestation de ce halètement.
Je le comprends comme un signe de clarté, de lumière. Un état proprement sublime. Le vertige sans doute.
L’inhalation du vent brûlant de la divinité, sorte d’état sans description.
Je ne peux dire plus. Car examiner ce point d’orgue revient à toucher à l’invisible. À l’aérien.
On pourrait expliquer la montée, puis le seuil plateau, puis le moment où la limite est dépassée, puis le reflux. Mais cela ne définit rien.
Le souffle est un élément qui par nature reçoit, accueille. Et la cage thoracique est très peu impliquée, car c’est un embrasement qui n’est pas concerné par cette grâce, ce courant d’air ascendant, cet emballement.
Même si par nature l’air est à la base de cette mystique de l’aspiration.
Cette relation reste inexplicable. Au milieu de ce rapport duel se tiennent le soi et le soi-même, si l’on veut faire une différence entre la sensation de soi et l’identification du soi-même, considérant que le soi est plus flou, moins déterminé, alors que le soi-même fait autorité sur le monde intérieur.
En ce sens, je préfère le soi, ou en tout cas, c’est lui qui est mieux capable de recevoir, et cela sans les trois opérations hégéliennes de la reconnaissance de soi.
Didier Ayres