Marine Foissey et les petits bonbons acidulés pour la conscience — entretien avec la photographe

Marine Fois­sey, pour évi­ter de ne connaître du temps que la pen­dule et du por­trait que l’apparence, crée un monde qui peut sem­bler — à celles et ceux qui le regardent trop rapi­de­ment — irréel ou som­nam­bule.
Pour­tant, ces por­traits trans­forment ce qui sou­vent n’est chez d’autres pho­to­graphes qu’une paro­die onto­lo­gi­que­ment niaise. C’est pour­quoi, grâce à une telle créa­trice, la métem­psy­chose est là pour quit­ter le royaume des appa­rences et des masques.

Certes, elle uti­lise par­fois ces der­niers pour une stra­té­gie intime de sur-vivance et de défi. Et ce, afin de ne pas se conten­ter de  repré­sen­ter le réel uni­que­ment par son écume.

Marine Fois­sey in Open Eye, n° 21. Et voir son site.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’eau que j’ai bue la veille.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils ont grandi.

A quoi avez-vous renoncé ?
Je n’ai pas encore renoncé.

D’où venez-vous ?
16ème arron­dis­se­ment de Paris, le ghetto du gotha.

Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
Ma folie et mes yeux.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le thé chaud au petit-déjeuner.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres pho­to­graphes ?
Mon nom.

Com­ment défi­ni­riez vous votre approche de la femme et son “fétiche” ?
J’aimerais que le temps avance, j’aimerais que les consciences sur­gissent, j’aimerais que l’éducation aille dans un réel sens du com­mun, du par­tage et de l’égalité. La femme détient une puis­sance incroyable mais l’histoire a fait que… Le temps a fait que… L’Homme a fait que…
Dans ma série Fucking Per­fect Life, j’ai uti­lisé des pou­pées (très roses et très connues) pour illus­trer la com­plexité, la drô­le­rie et l’absurdité de nos rap­ports entre femmes et hommes. Ce tra­vail n’est pas à prendre comme un plai­doyer, plu­tôt comme des petits bom­bons aci­du­lés au goût de prise de conscience.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
La pre­mière ? J’ai entendu dire par mes parents que j’étais fas­ci­née par le Bébête show.
Mais si je veux faire plus chic, je dirai un tableau de Cara­vage dans une petite cha­pelle de Rome. J’étais enfant, presque effrayée par cette repré­sen­ta­tion, c’est là que ma mère m’invite à m’assoir à ses côtés et me dit « regarde avec moi » et m’a expli­qué. J’ai aimé ce moment pri­vi­lé­gié dans ce silence de cha­pelle, avec juste sa voix et ce tableau.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Je n’aimais pas lire petite, je pré­fé­rais les images aux mots. Puis tout a com­mencé dans une course folle avec “Le Grand Meaulnes”.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Légè­re­ment hété­ro­clite : du funk à l’opéra.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’ai tou­jours peur d’être déçue par une relec­ture. Peur que le beau sou­ve­nir que j’ai d’un livre soit dif­fé­rent par mon regard pré­sent. Je tente plu­tôt avec des livres que je n’avais pas aimés ou que je n’ai pas pu finir. J’avais détesté “Madame Bovary” la pre­mière fois, je l’ai relu des années après, j’ai adoré.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Mil­lion Dol­lar Baby”, la fra­gi­lité d’un bon­heur, d’une réus­site, d’une confiance en soi. Une seconde, un acte, un geste, l’accident et tout s’arrête, se modi­fie et devient défi­ni­tif. Cela me terrifie.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’ai un cer­tain talent pour me regar­der sans me voir.
On pour­rait pen­ser que je vais atteindre une réponse en pra­ti­quant l’autoportrait mais pas sûr. J’utilise mon corps pour mes pho­to­gra­phies comme une matière fai­sant par­tie de l’idée même de l’image. C’est sou­vent comme une mise à l’épreuve de soi, un test à chaque fois. Peut-être que je me vois en me cherchant.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Per­sonne, il faut oser.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le cœur de ceux qui m’aiment.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
L’enfance racon­tée dans “Du côté de chez Swann” m’a beau­coup émue. Ces sou­ve­nirs sur des détails qui font tout, la jus­tesse de l’instant fra­gile. Le sou­ve­nir que la mémoire dété­riore. L’empreinte d’une dou­ceur qui devient dou­lou­reuse car elle ne sera jamais plus. Un para­dis perdu. Il y a une émo­tion qui me parle chez Proust, que je retrouve aussi en pein­ture chez des peintres comme Har­tung, la beauté et la force du geste.
Bill Viola avec ses ins­tants sus­pen­dus me fascine.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un dîner avec les artistes de la ques­tion d’avant.

Que défendez-vous ?
Ce qui à mes yeux me paraît sou­mis à l’injustice.
Je défends l’environnement et la cause ani­male car ni la pla­nète ni les ani­maux n’ont droit de parole.
Je ne défends pas les femmes, elles n’ont pas besoin de moi. En revanche, j’appuie, je démontre l’aspect mal­heu­reu­se­ment encore trop moyen­âgeux des rap­ports entre les hommes et les femmes.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Je la trouve déses­pé­ré­ment drôle.
L’amour a un aspect d’illusion. Il y aura tou­jours un manque ou un vide, une attente non assou­vie. On pro­jette tel­le­ment sur l’autre. Com­ment voulez-vous qu’on suive ? Je te don­ne­rai quelque chose que je n’ai pas et puis de toute façon comme je me trompe sur ce que tu veux, tu n’en vou­dras pas. Bref, l’amour c’est bien com­pli­qué, fati­guant, ça prend du temps mais comme c’est beau.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?
Le oui sans avoir écouté la ques­tion est un non mal assumé.

Que pensez-vous de celle de Via­latte “L’homme n’est que pous­sière, c’est dire l’importance du plu­meau” ?
C’est aussi dire l’importance de l’inventeur du plumeau.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Oui ! Quelle était la question ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 23 avril 2021.

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