Bicentenaire de Flaubert : un Dictionnaire monumental !
Le bicentenaire de la naissance de Flaubert ramène sur le devant de la scène sa dernière entreprise littéraire – hélas inachevée –, le fameux Dictionnaire des idées reçues, qui devait être proposé par ses personnages Bouvard et Pécuchet pour former la deuxième partie du roman homonyme qui les met en scène.
C’est donc un défi à l’équipe organisatrice, puisque Flaubert notait : « Dictionnaire : en rire – n’est fait que pour les ignorants ». Loin de s’en tenir à ce constat d’échec annoncé – il ne faut tout de même pas coller de trop près à Flaubert ! –, les auteurs proposent ici un magistral ouvrage de près de 1.300 notices.
Le fort volume est divisé en cinq sections ; une présentation en éclaire d’abord l’ambition : si l’œuvre de Flaubert paraît à première vue modeste par rapport à un Hugo ou un Balzac (moins d’une dizaine de titres achevés en vingt-cinq ans de carrière), d’une part elle se double d’une foule de projets et de textes de jeunesse moins connus, d’une correspondance abondante (cinq épais volumes dans la collection de « La Pléiade » chez Gallimard).
D’autre part, à l’opposé de l’image de sédentaire qui lui colle à la peau, Flaubert a beaucoup voyagé (France, Angleterre, Suisse, Italie, Belgique, Allemagne, Orient) ; et toujours à l’opposé de l’image d’ours ou de misanthrope qu’on lui accorde, il a beaucoup fréquenté les salons et pratiqué les mondanités, notamment sous le Second-Empire. Les autres notices concernent des aspects de son œuvre, biographiques, stylistiques, etc.
S’ajoute un « mode d’emploi », qui donne les références d’usage pour le renvoi aux œuvres, les abréviations usuelles, et la liste des contributeurs (moins d’une vingtaine pour cet ouvrage volumineux). Le troisième élément est une chronologie de 12 p. qui permet de resituer la vie de Flaubert en contexte ; c’est un ajout utile, à mon sens.
Viennent ensuite les notices proprement dites, de « Abou Simbel » à « Zola, Émile », ces deux entrées donnant déjà la dimension de l’ouvrage…
Une bibliographie sélective – véritable gageure lorsqu’elle est de l’ampleur de celle consacrée à Flaubert – est proposée en fin de volume : elle est classée en sources primaires, et dans cette section, par œuvres, ce qui est très utile car d’accès immédiat ; puis en littérature critique, par ouvrages et articles, classés cette fois par nom d’auteur. Une dernière page complète les informations avec les ressources d’Internet, bien développées ces dernières années, notamment par l’Université de Rouen, sous la houlette du Pr. Yvan Leclerc.
Pour donner une idée du fonctionnement du dictionnaire, la notice sur Alfred Le Poittevin, ami intime de Flaubert, renvoie au fil du texte aux entrées suivantes dans l’ouvrage (indiquées par un astérisque) : Collège Royal, Droit, Paris, Famille, Mariage, Littérature, Vie, Amitié, Théâtre, Hôtel-Dieu, Correspondance, Rupture, Romantisme, Shakespeare, Horace, Rabelais, Byron, Béranger, Philosophie, Spinoza, Histoire, Forme, Gœthe, Misanthropie, Ours, Garçon, Matérialisme, Bourgeois, Excès, Maupassant (Guy de), Souvenir, Bleu : c’est dire que la navigation dans l’ouvrage propose un flot de ressources toujours propres à faire découvrir un aspect inconnu ou inattendu, comme ici la notice sur la couleur, qui en rejoint d’autres (gorge-de-pigeon, par exemple).
Les entrées se complètent d’autres corrélats en fin de notice, ou d’une indication bibliographique spécifique.
Il s’agit ici d’un ouvrage important, qui sera propre à ravir l’amateur de Flaubert, et qui sera aussi un outil utile à l’étudiant, au chercheur, à l’historien. Dans le cadre du bicentenaire de Flaubert, France Culture a proposé le samedi 17 avril une journée Flaubert, dont les émissions sont accessibles sur le site de la radio ; Madame Bovary est en feuilleton ces jours-ci, de 20h30 à 21h, du lundi au vendredi.
Les éditions Gallimard publieront à la mi-mai les tomes IV et V des Œuvres complètes de Gustave Flaubert, mettant un point final à l’édition magistrale entreprise par Cl. Gothot-Mersch et alii, pour succéder à celle d’A. Thibaudet, assez datée depuis les avancées de la critique génétique.
yann-loic andre
Dictionnaire Flaubert, sous la direction de Éric Le Calvez, Paris, Garnier, 2020, 1264 p. — 68,00 €.