Pour rire et méditer sur le désamour de notre monde
Houellebecq on le sait est sale, il est crade — sa langue et celle d’une farandole de bites lorgnant tristement devant des horizons écumants et sinistres de vagins. Il est le cynique contempteur désabusé et violent de notre société de lutte et de rage égoïstes. Ce que Guy Prévost nous fait bien sentir par sa lecture pleine de douce ironie, de suave roublardise concupiscente.
Mais Houellebecq n’est pas un pur cynique — “la douleur du monde”, c’est là la vérité de sa crudité crade : il nous l’assène à tour de phrases froides et analytiques à la tristesse retenue, digne héritier du pessimisme critique d’un certain naturalisme. Achevant de développer la métaphore économique employée par Freud pour traiter du fonctionnement de la psyché humaine dans son jeu dynamique de répartition des énergies libidinales, il saisit et expose les ravages de ce libéralisme sexuel contemporain aussi destructeur que peut l’être le libéralisme économique.
Ce monde est cruel, c’est pour ça qu’il saigne et est atroce. L’attitude pornocrate de Houellebecq semble moins une tendance originelle et spontanée qu’un comportement déceptif : oui, il évoque le sexe crade en “néonaturaliste” — froidement et sans passion — et les douleurs de l’âme en réaction à ce système de compétition universelle qui fait échouer tout projet de lien, de communauté humaine, d’humanisme, où les valeurs d’échange et de réussite sont jeunesse, beauté, force : les critères de l’amour physique sont exactement les mêmes que ceux du nazisme. (Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, Fayard, 2005).
Finalement c’est un certain lyrisme humaniste qui se ressent parfois sourdement dans la brutalité lucide de sa langue. Sans concession elle expose la cruauté de notre société consumériste où la réification triomphe inlassablement dans les choses mêmes de l’amour. La froideur de sa langue n’est que celle de notre monde mort et déshumanisé. Toutefois, dans cette irrésistible douleur qui se montre souvent dans ses textes, n’y a-t-il pas la voie de quelque espoir, de quelque chose d’humain et de tendre qui subsiste malgré tout ? Notre société médiatique même ne place-t-elle pas le besoin de mythes d’Amours, d’histoires radieuses et pures, humaines, au premier rang de ses soucis à grand renfort d’émissions télévisées, de comédies musicales, de pubs et de sites de rencontres ? Certes, ce romantisme compense mal les fictions qui montrent comment la peur policière et procédurière représente l’Autre comme l’agresseur en puissance… En tout cas, cette peur de l’autre, cette crainte du lien et cette réification des rapports humains, omniprésentes chez Houellebecq, n’empêchent pas l’expression d’une nostalgie et d’un espoir de tendresse : son œuvre résume admirablement les tendances contradictoires de notre époque. Cela, la mise en scène le montre bien en choisissant intelligemment d’installer un jeu d’hésitation entre un cynisme amusé et une candeur enfantine et moqueuse : car les textes de Houellebecq, malgré la fange et la violence, sont marqués d’un humour infaillible.
samuel vigier
Houellebecq ou la douleur du monde
Textes extraits de : Extension du domaine de la lutte, Les Particules élémentaires, Plate-forme, La possibilité d’une île, Interventions, Lanzarote, Rester vivant
Poésies tirées de : La Poursuite du bonheur, Le Sens du combat, Renaissance
Conception et mise en scène :
Christine Letailleur
Assistante à la mise en scène :
Stéphanie Cosserat
Interprétation :
Guy Prévost
Durée du spectacle :
1 heure