Scène intérieure de la poésie
Les hommes, dès leur naissance, comprennent que la langue maternelle échoue toujours à dire ce qu’ils voudraient exprimer. D’où leur recours à la poésie. Réda la chérit mais pas n’importe comment et avec n’importe qui, même si elle peut jaillir nue sous “son manteau de syllabes bâillant et ouvert comme les deux coquilles d’une huître”.
Son vagin de lettres représente la paroi vivante de la mémoire. Mais toute cela avance avec le temps, d’où ce retour amont — clin d’oeil à Rabelais compris — en reprises de la scène intérieure de la poésie.
Mais par défaut de langue ou par trop d’envie, Réda rappelle que ce qu’on prend pour tel ne l’est pas forcément. Ce travail de reconnaissance — dans lequel, rappelle l’auteur, il ne faut pas voir “une sorte d’anthologie un peu plus lacunaire que la plupart des autres, ni même un reflet de mes seuls goûts personnels” -, il s’agit de compositions “par surprise et au hasard d’une relecture ou d’une remémoration”.
Réda d’ailleurs n’aime pas les stratégies ou projets finement concertés même si, peu à peu, son oeuvre se structure. Et ici dans l’évolution du vers français puis de la langue française en générale qui fut une obligée et obliger à “tâtonner, parfois avec brio, vers la langue nouvelle que Rimbaud avait souhaitée”.
Existe là une étude par monts et vaux en un mode opératoire d’une quête au dessein plus fondamental que l’écriture elle-même, même si elle le gouverne. C’est pourquoi Réda y revient en fidélité, ce qui n’exclut pas la frivolité.
A sa manière, il en affronte l’ombre et la lumière en auteur qui cherche dans l’abîme d’un sac sans fond ce dont il aurait besoin pour conjurer des forces des mots et des vers lorsqu’ils ne sont pas les “bons”.
Et l’auteur de redéfinir le statut de ceux qui sont nommés “grands poètes”. Ils sont les représentants d’un état particulier de la langue en un “brassage d’ondes, de crêtes”.
Bref, ces auteurs sont “des grands accidents de terrain” que Réda, en géographe intempestif, cartographie de manière aussi vivante que particulière.
jean-paul gavard-perret
Jacques Réda, Quart livre des reconnaissances, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2021, 96 p.