Jacques Réda, Quart livre des reconnaissances

Scène inté­rieure de la poésie

Les hommes, dès leur nais­sance, com­prennent que la langue mater­nelle échoue tou­jours à dire ce qu’ils vou­draient expri­mer. D’où leur recours à la poé­sie. Réda la ché­rit mais pas n’importe com­ment et avec n’importe qui, même si elle peut jaillir nue sous “son man­teau de syl­labes bâillant et ouvert comme les deux coquilles d’une huître”.
Son vagin de lettres repré­sente la paroi vivante de la mémoire. Mais toute cela avance avec le temps, d’où ce retour amont — clin d’oeil à Rabe­lais com­pris — en reprises de la scène inté­rieure de la poésie.

Mais par défaut de langue ou par trop d’envie, Réda rap­pelle que ce qu’on prend pour tel ne l’est pas for­cé­ment. Ce tra­vail de recon­nais­sance — dans lequel, rap­pelle l’auteur, il ne faut pas voir “une sorte d’anthologie un peu plus lacu­naire que la plu­part des autres, ni même un reflet de mes seuls goûts per­son­nels”  -, il s’agit de com­po­si­tions “par sur­prise et au hasard d’une relec­ture ou d’une remé­mo­ra­tion”.
Réda d’ailleurs n’aime pas les stra­té­gies ou pro­jets fine­ment concer­tés même si, peu à peu, son oeuvre se struc­ture. Et ici dans l’évolution du vers fran­çais puis de la langue fran­çaise en géné­rale qui fut une obli­gée et obli­ger à “tâton­ner, par­fois avec brio, vers la langue nou­velle que Rim­baud avait souhaitée”.

Existe  là une étude par monts et vaux en un mode opé­ra­toire d’une quête au des­sein plus fon­da­men­tal que l’écriture elle-même, même si elle le gou­verne. C’est pour­quoi Réda y revient en fidé­lité, ce qui n’exclut pas la fri­vo­lité.
A sa manière, il en affronte l’ombre et la lumière en auteur qui cherche  dans l’abîme d’un sac sans fond ce dont il aurait besoin pour conju­rer des forces des mots et des vers lorsqu’ils ne sont pas les “bons”.
Et l’auteur de redé­fi­nir le sta­tut de ceux qui sont nom­més “grands poètes”. Ils sont les repré­sen­tants d’un état par­ti­cu­lier de la langue en un “bras­sage d’ondes, de crêtes”.

Bref, ces auteurs sont “des grands acci­dents de ter­rain” que Réda, en géo­graphe  intem­pes­tif, car­to­gra­phie de manière aussi vivante que particulière.

jean-paul gavard-perret

Jacques Réda, Quart livre des recon­nais­sances, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2021, 96 p.

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