Jean-Max Méjean : Fellini le seul maître — entretien avec l’auteur (Rimbaud cinéma )

Jean-Max Méjean aime les films de Fel­lini (et c’est un euphé­misme) et, à ce seul titre, il est du genre insom­niaque rêveur capable de dor­mir debout pour créer des connexions intem­pes­tives que tant d’écrivains ratent, pré­fé­rant les som­ni­fères aux rêves éveillés.
Il crée ainsi des dia­go­nales du fou. Diverses pré­sences en psy­chés les appellent pour jouer en leurs diverses ten­sions.
Et Méjean mul­ti­plie le réseau du mys­tère des incar­na­tions nées de l’imaginaire de créa­teurs majeurs. Celles de Fel­lini entre autres. Elles appellent les spec­ta­teurs aux choses spi­ri­tuelles par le mys­tère des corps là où mas­cu­li­nité et fémi­nité se dis­tri­buent en divers “échanges” ou “dépenses”. Preuve qu’imaginer n’est jamais res­treindre mais déve­lop­per diverses formes de fièvre ou d’angoisse.

De l’auteur et entre autres ;  Rim­baud cinéma, Jacques Fla­ment édi­tions. 2015, Bruno Dumont, un funam­bule de génie, Jacques Fla­ment alter­na­tive édi­to­riale. 2020.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Fel­lini disait que c’était la curio­sité qui le fai­sait se lever le matin. J’aimerais le para­phra­ser, mais quel­que­fois c’est tout bon­ne­ment le réveille-matin…

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant étaient de deve­nir ins­ti­tu­teur, écri­vain et cinéaste. Quelque part, je les ai en par­tie tous réa­li­sés, même modestement.

A quoi avez-vous renoncé ?
Je n’ai renoncé à rien, hélas…

D’où venez-vous ?
Je viens du Midi de la France, mais je me sens sou­vent pari­sien. Sinon, je crois que je viens d’une longue his­toire, la vie est tel­le­ment magique. Pour­quoi je suis là, et dans quel état j’erre…

Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
Je crois que j’ai dû rece­voir beau­coup d’amour de ma grand-mère, de ma mère, puisque je n’ai pas connu mon père. Elles m’ont appris que la vie est un com­bat et qu’il fal­lait tenir.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Mar­cher, boire un verre de rosé, pen­ser à mes pro­jets, me faire du souci, j’en ai plein de petits plaisirs.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Cer­tai­ne­ment le nombre de tirages. Non je plai­sante (à peine). Je crois que ce qui me dis­tingue des autres écri­vains, c’est que je n’arrive pas à me prendre au sérieux. Les rares fois où quelqu’un me dit aimer un de mes livres, je n’en reviens pas.

Com­ment défi­ni­riez vous votre approche du cinéma dans vos tra­vaux ?
En fait, c’est parce que j’ai fait de Fel­lini mon père idéa­lisé que je me suis inté­ressé à l’écriture autour du cinéma. C’est parce que j’ai fina­le­ment réussi à pondre ma thèse sur lui et qu’il l’a appré­ciée que j’ai pu conti­nuer à écrire sur le cinéma. Je lui dois tout.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Long­temps un film me hanta, “The Win­dow” de Ted Tetz­laff (titre fran­çais “Une incroyable his­toire”). J’avais dû le voir à la télé vers l’âge de 10 ans. C’est un film très hit­ch­co­ckien qui raconte l’histoire d’un petit gar­çon qui ment sans arrêt. C’est très angois­sant. Je revois l’image quand il découvre que son voi­sin est un assas­sin et qu’il va le pour­suivre alors que per­sonne ne le croit. Je l’ai revu à l’âge adulte et j’ai été très déçu de ne plus avoir peur. Dommage.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Le pre­mier livre que j’ai lu hor­mis ceux qu’on devait lire à l’école ou au lycée, et qui m’a donc mar­qué pro­fon­dé­ment, c’est “Le Mur” de Jean-Paul Sartre qui m’a tel­le­ment trau­ma­tisé que je l’ai jeté. Je ne l’ai plus jamais relu. J’avais 14 ans.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute rare­ment de la musique, c’est étrange non dans ce monde très « musi­cal » ? Je pré­fère réflé­chir, lire, regar­der la vie et les ani­maux même minus­cules, et la musique m’empêche de pen­ser. Mais il m’arrive d’en écou­ter par­fois, par exemple Bach que j’adore, ou Schu­bert, mais aussi France Gall et Raphaël. Bras­sens aussi, mais le pro­blème, c’est que je ne peux pas écou­ter de la musique et vaquer à mes occu­pa­tions. En fait, je n’aime pas le fond sonore et comme je suis tout le temps en acti­vité, c’est dif­fi­cile de les faire coha­bi­ter. Ah oui, j’oubliais, je peux écou­ter en boucle chez moi seule­ment Amy Wine­house et Sade.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis jamais mes livres, ni ne regarde plu­sieurs fois les films que j’aime sauf bien sûr si je tra­vaille des­sus. C’est comme ça : je dois avoir peur de perdre mon temps, il y a tant et tant de livres et de films que je n’ai jamais lus ou vus.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Il y en a beau­coup, je pleure sou­vent devant les hor­reurs des infor­ma­tions télé­vi­sées. Mais je crois que le film qui m’émeut le plus, c’est “Les nuits de Cabi­ria”, je m’identifie à elle, ou à Gel­so­mina, mais ça peut chan­ger sou­vent. J’ai pleuré aussi beau­coup en voyant “La vie est belle” de Capra. Je peux pleu­rer d’émotion, ou de joie, c’est selon et ça m’arrive sou­vent au cinéma. C’est très gênant même si je pleure en silence, rassurez-vous.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Par­fois je me vois à vingt ans, et je ne me recon­nais pas. Par­fois, je vois ma grand-mère lorsqu’elle avait mon âge actuel. Mais sou­vent je ne pré­fère pas trop m’attarder à me « contempler ».

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai pas trop de pro­blème pour écrire aux gens que j’aime, tout comme à ceux avec qui je ne suis pas d’accord. Mais si j’avais un regret à for­mu­ler, c’est de n’être pas allé jusqu’à écrire au roi du Maroc pour nous aider à orga­ni­ser un voyage sco­laire dans son royaume. On s’est moqué de moi, le conseil du ser­vice diplo­ma­tique fran­çais m’a dit que le pro­to­cole ne le per­met­tait pas, sauf si j’étais un prince. J’aurais dû ten­ter quand même.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Alors là, sans hési­ter, c’est Rome. Que ce soit parce que c’est l’un des ber­ceaux de notre civi­li­sa­tion. Ou parce que c’est aussi la ville de Fel­lini, c’est là que se trouve Cine­città qui m’a laissé des sou­ve­nirs mélan­co­liques. Et puis c’est la plus belle ville du monde, « un bien bel endroit pour attendre la fin du monde », comme le dit Gore Vidal dans “Fel­lini Roma”.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Je me sens proche de Fede­rico Fel­lini bien sûr, de Woody Allen, de Pedro Almo­do­var, d’Emir Kus­tu­rica, d’Amy Wine­house, de Rim­baud, du Cara­vage. Je crois qu’il y a un fil rouge entre eux, non ?

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Ca tombe bien, c’est bien­tôt, le 17 avril. Mon atti­tude par rap­port à l’anniversaire est assez para­doxale : je suis très sen­sible à ceux qui me le sou­haitent, je n’aime pas qu’on l’oublie, mais je n’aime pas les cadeaux, je n’aime pas souf­fler les bou­gies. Je suis un peu fada non ?

Que défendez-vous ?
Je défends la liberté, je déteste le men­songe. Je défends tout ce qui s’oppose, je crois qu’il est impor­tant de dire non, d’être atten­tif à tout ce qui nous enchaîne, et il faut dire qu’en ce moment, on est servi par les poli­tiques et les médias que je ne sup­porte plus.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
C’est vrai­ment la phrase qui m’a le plus mar­qué. Vous ne pou­viez pas mieux tom­ber. Je crois que ça défi­nit au mieux ce que je res­sens. Je la mets sou­vent en paral­lèle avec celle de Pla­ton, à mon avis Lacan s’en est sans doute ins­piré : « l’amour c’est ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque ». Trou­blant et absolu.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
Je lui répon­drais par ses mots : « L’éternité, c’est long sur­tout vers la fin ». Oui tout ceci est très absurde, et j’adore car l’absurdité de la vie est par­tout, et je crois qu’il vaut mieux en rire avec Allen, Kafka (par­fois), Jarry, Dac, et tant d’autres.

Que pensez-vous de celle de Via­latte “L’homme n’est que pous­sière, c’est dire l’importance du plu­meau” ?
Encore une fois, de l’absurde et de l’humour qui est, dit-on, « la poli­tesse du déses­poir ». Pous­sière oui, mais alors le plu­meau ne s’impose pas pour évi­ter qu’on ne nous oublie trop vite. Je pré­fé­re­rais être en fait de la pous­sière d’étoiles que de la vul­gaire pous­sière balayée par O’Cedar.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Vos ques­tions sont magni­fiques, on n’a pas envie qu’elles finissent. Mais même les bonnes choses ont une fin, n’est-ce pas ? J’aurais peut-être ajouté une ques­tion prous­tienne que j’adore : com­ment j’aimerais mou­rir. Sans trop souf­frir, bru­ta­le­ment comme ça. Mais enfin, dès que j’ai dit ça, je le regrette…

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 12 avril 2021.

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