Urlo

Urlo, c’est le Cri qu’est l’Homme : fer­veur, dou­leur, pas­sion, éveil, nais­sance, mort — fer­veur, passion…

Urlo c’est le cri en ita­lien, c’est le hur­le­ment — quelque chose qui sourd d’entre l’homme, le nouveau-né et la bête, et que le fran­çais ne par­vient à tra­duire. Urlo, cri de rage et souf­france du nouveau-né dans la soli­tude et les ténèbres, cri même de Bobò, micro­cé­phale sourd-muet pen­sion­naire pen­dant qua­rante ans de l’hôpital psy­chia­trique d’Arversa, avant que la ren­contre avec Pippo le fasse renaître sur scène.

Ce cri ori­gi­nel de Bobò, trau­ma­tique et radieux, lance alors sur scène le chaos de toutes les exis­tences, de toute l’humanité, en des tableaux excep­tion­nels, cha­cun puis­sant d’une excep­tion­nelle ori­gi­na­lité chro­ma­tique, plas­tique et sonore — la musique est choi­sie avec force, tou­jours, chez Pippo : hard, chan­son popu­laire, opéra…- qui touche le spec­ta­teur au plus pro­fond, tableaux où les acteurs exposent leur dou­leur, leurs tor­sions, leurs pré­sences cor­po­relles, fra­giles et puis­santes.
Plus que des acteurs, ce sont des dan­seurs, car ils ne jouent pas des actes humains dans la comé­die humaine : il n’y a pas de drame, au sens de trame, d’action, d’histoire ; il y a plu­tôt la sai­sie de figures et de rythmes, de sta­tions sym­bo­liques de l’humanité, qui délaissent la com­po­si­tion psy­cho­lo­gique pour l’expression cor­po­relle, d’autant plus redou­table qu’elle est d’une maes­tria irréprochable.

Tous ces cris alors font se tou­cher la marche du sup­pli­cié — et Gian­luca nous montre à la manière effroya­ble­ment sublime de Bacon que le corps aussi peut-être un cri -, la joie de ceux qui exultent la beauté cool de leur corps sur la plage ou la rage de celui qui s’oppose au silence aveugles des nan­tis — sans que cette lec­ture poli­ti­sante soit uni­voque, grâce au sub­til contre­point d’une scène de repas lar­moyante et déses­pé­rée jouée avec force par Lucia del Fer­rera.
Théo­rie de Visions nées du chaos de la troupe, de nos exis­tences, cette pièce invente une cohé­rence supé­rieure à celle du théâtre conven­tion­nel, puisqu’elle donne des figures poé­tiques à toute la com­plexité de l’humanité aban­don­née, déser­tée des dieux qu’elle ne par­vient à oublier, en rage aussi contre ses oppres­seurs et plein de force popu­laire. Ce seront les lumi­neuses chan­sons de la grande chan­teuse popu­laire Gio­vanni Marini, les tré­pi­da­tions joyeuses d’une céleste fan­fare, ou les appa­ri­tions quasi oni­riques de Umberto Orsini — en double céré­mo­nieu­se­ment funèbre de Pippo Del­bono puisque ses lèvres muettes s’agitent de mots dits par celui-ci — comé­dien de théâtre popu­laire et fabu­leux acteur de cinéma, notam­ment chez Visconti.

Pippo Del­bono nous rap­pelle que vie et mort, dou­leur et joie, misère et gloire ne s’opposent pas, mais s’engendrent et se tiennent mutuel­le­ment chez l’homme, Pippo récon­ci­lie les contraires, et rap­pelle la richesse irré­duc­tible de l’existence — c’est toute la force de son amour.
Urlo est l’exaltation du cri pri­mal, du cri pre­mier dans l’ordre de l’existence tra­gique et radieuse qui est la nôtre, anté­rieur à toute décla­ra­tion, toute ana­lyse, toute confes­sion et qui les résume toutes. C’est la soli­tude infi­nie de l’Homme mais qui relie tous les hommes : celui qui crie, si quelqu’un est là pour l’entendre, assu­ré­ment il trouve un écho dans son cœur. C’est l’exaltation de la joie d’être tous unis par la féli­cité des actes les plus simples : comme d’être sur une plage.
Urlo, un nou­vel huma­nisme qui inter­roge les figures lacé­rées de ses dieux, et donne place et part aux déses­poirs de tous les oubliés, elle tra­vaille à leur don­ner lieu, ici sur scène, et dans nos coeurs — en cela, plus que sim­ple­ment pathé­tique et esthé­tique, ce théâtre est poli­tique, la pre­mière défi­ni­tion de la polis est d’être l’invention d’un espace humain dans le désert de l’univers.

Au terme de ce par­cours pari­sien de la com­pa­gnie — mais la pro­vince n’est pas en reste, et si nous avons eu l’heur de le connaître, signa­lons que c’est d’abord grâce à l’excellente pro­gram­ma­tion de la Comé­die de Clermont-Ferrand diri­gée avec un rare bon sens par Jean-Marc Gran­gier — il me faut sou­li­gner ce que Pippo Del­bono m’a rap­pelé : que le rêve de la cri­tique n’est que de trans­por­ter, pro­pa­ger, mul­ti­plier d’infinies décla­ra­tions d’amour — mal­gré les mal­adresses, et les accep­tant toutes. Merci Pippo Del­bono de nous rap­pe­ler, de rap­pe­ler à tant de per­sonnes, la grande beauté du théâtre — pas un simple diver­tis­se­ment, mais un acte d’homme.

samuel vigier

Urlo
Dra­ma­tur­gie et mise en scène :
Pippo Del­bono
Avec :
Fadel Abeid, Dolly Alber­tin, Gian­luca Bal­larè, Raf­faella Ban­chelli, Bobò, Viola Brusco, Enke­leda Cekani, Mar­ghe­rita Cle­mente, Piero Corso, Pippo Del­bono, Lucia Della Fer­rera, Ila­ria Dis­tante, Clau­dio Gas­pa­rotto, Gus­tavo Gia­cosa, Simone Gog­giano, Elena Guer­rini, Mario Intru­glio, Nel­son Laric­cia, Gianni Parenti, Mr Puma, Pepe Robledo, Mar­zia Val­piola. 
Et la par­ti­ci­pa­tion de :
Gio­vanna Marini, Umberto Orsini.

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