Lettre à mon juge

Une belle adp­ta­tion d’un roman de Sime­non, entre Mau­riac et Camus, par un comé­dien de talent

Lettre à mon juge est avant tout un roman de Georges Sime­non. Écrit en 1947, il s’inscrit dans la ligne noire ins­tau­rée par l’auteur, pour ne pas se retrou­ver vam­pi­risé, à l’instar d’un Conan Doyle, par le per­son­nage qui a fait sa célé­brité : le com­mis­saire Mai­gret. Donc, de Mai­gret, il n’est pas question.

L’adap­ta­tion faite par Robert Benoit, trans­forme donc ce roman en un long mono­logue de 1 h 45. Cette trans­po­si­tion, qui est la seule à avoir été auto­ri­sée par l’auteur, et à titre gra­cieux, faut-il le sou­li­gner, se déroule dans une simple geôle. L’éclairage y est faible. Le décor aussi. Et c’est nor­mal. En fond, une porte à bar­reaux métal­liques. Au pre­mier plan, un tabou­ret de bar, sur lequel Robert Benoît se pose, et une table. À l’arrière-plan, une ban­quette, une bou­teille et un verre d’eau : il faut bien que l’acteur se refasse une santé. D’ailleurs, il n’y retourne que deux ou trois fois.

Alors, la trame. Un homme, seul dans sa cel­lule, condamné pour un crime inconnu de nous, relit sa lettre au juge, por­teur de sa sen­tence. Non pas qu’il veuille prou­ver son inno­cence. Il veut sim­ple­ment expli­quer son geste. Dès le début, on com­prend qu’il s’agit d’un crime pas­sion­nel. L’homme, Charles, est méde­cin. Une vie banale. Marié très tôt à quelqu’une qu’il n’aime pas, et qui a la bonne idée de mou­rir jeune. Las, elle est trop vite rem­pla­cée. Car il faut res­pec­ter les conve­nances. Une nou­velle, veuve elle aussi, Armande, débarque. Elle est jolie, mais dis­tante. Elle ne l’aime pas plus. Leur vie est d’une bana­lité crasse. Ils font chambre à part main­te­nant que la pro­gé­ni­ture est là. Et puis, au hasard d’une course à faire en ville, il ren­contre Mar­tine. Mar­tine, qui va chan­ger sa vie, la donne, et sa vision de l’amour. Tout ça va deve­nir très pos­ses­sif et étran­ge­ment mal­sain. Un couple à trois va se créer. Qui va engen­drer un drame pré­vi­sible. Un crime. Car Charles a tué. Sinon, il ne serait pas en pri­son. Mais quelle femme ?

Robert Benoit lit d’abord sa lettre, puis il la pose, et com­mence à déam­bu­ler à mesure que son mono­logue s’enflamme. On le sent pas­sionné par cette œuvre, par ce drame, qui est l’essence même du drame. L’intrusion d’une tierce per­sonne qui vient cham­bou­ler une har­mo­nie, plus ou moins fic­tive, est somme toute plu­tôt banale. Ici, elle prend toute sa puis­sance avec l’évolution d’une force tran­quille (Charles) qui va décou­vrir un amour tel qu’il n’y croyait pas. À côté de ça, une femme qui se sait trom­pée mais qui s’en contre­fiche du temps que les appa­rences sont pré­ser­vées, et qui va même jusqu’à accueillir sous son propre toit sa rivale. Car elle sait qu’elle ne peut pas lut­ter. Il y a dans ce roman, et qu’a bien su recréer Robert Benoit, au-delà du Sime­non noir et dévas­ta­teur, quelque chose de Mau­riac et de l’Aquitaine de ses romans. Cet uni­vers où le non-dit est roi.

Le cha­risme et les talents dra­ma­tiques de Robert Benoit lui per­mettent de tenir à bout de bras un mono­logue qui sinon serait bien trop long. Une pièce à voir, même si l’on ne connaît pas Sime­non. À l’Atelier théâtre de Mont­martre. Un endroit aty­pique comme on les aime. Avec peu de bancs, très confiné, et qui pro­pose plein d’autres pièces ou lec­tures, à décou­vrir ici. Celle-ci est pro­lon­gée jusqu’au 14 jan­vier 2006.

julien vedrenne

 

Lettre à mon juge
d’après Georges Sime­non
Adap­ta­tion :
Robert Benoît
Avec :
Robert Benoît
Durée du spec­tacle :
1 h 45

 

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