Franck Bouysse, Orphelines

On naît seul, on meurt seul…

Un tueur en série contre un couple d’enquêteurs com­posé d’une jeune ins­pec­trice et d’un vieux poli­cier sans grandes illu­sions. Certes le thème a déjà été bien uti­lisé mais le roman­cier apporte un éclai­rage dif­fé­rent. Frank Bouysse ins­talle une chasse à l’homme contre un tueur qui semble éva­nes­cent. Les indices qu’il laisse sont dif­fi­ciles à inter­pré­ter.
Cepen­dant, peu à peu, le couple se fait une idée plus pré­cise du pro­fil sans pour autant cer­ner une quel­conque piste pou­vant mener à un indi­vidu. Les vic­times sont des femmes jeunes, jolies, vivant seules, proches de la qua­ran­taine sans que rien, dans leur vie, ne soit de nature exceptionnelle.

Emma, l’épouse de Jacques Belony, dans le coma depuis les années, depuis l’accident de voi­ture qui a déjà coûté la vie de sa fille, a cessé de res­pi­rer. Au cime­tière, Marie Dalen­çon, sa jeune équi­pière depuis quelques mois, dans un élan de com­pas­sion le prend dans ses bras. Il est trou­blé. Elle aussi car elle s’est atta­chée à cet homme bourru, sa vie sen­ti­men­tale étant une suite de rela­tions chao­tiques.
C’est un pro­me­neur qui découvre, effaré, dans d’anciennes car­rières, le corps nu d’une femme pri­vée de ses mains et de ses pieds. Dans son dos, scot­chée, une par­ti­tion de musique. Le com­mis­saire Farque, musi­cien à ses heures, déchiffre Le temps des cerises. L’autopsie révèle qu’elle était vivante lors des ampu­ta­tions et qu’elle est morte d’un choc violent à la tête. Dans l’estomac le légiste a trouvé une grande quan­tité de cerises ingé­rées avant d’être tuée. La vic­time est vite iden­ti­fiée, une ser­veuse dans un bar. Son patron, très content de son ser­vice, n’a rien remar­qué d’inhabituel.
C’est dans un entre­pôt désaf­fecté du nord de la ville qu’un second cadavre de femme est décou­vert. Il n’est pas amputé mais le corps est dis­posé d’étrange façon. C’est Belony, ayant inter­rompu son congé de deuil, qui voit ce que pointe le doigt de la morte. Une phrase gra­vée sur une machine rouillée : “Elles vous diront que je suis leur ami…”. Une parole d’une chan­son. Et ce n’est pas fini…

La traque est pas­sion­nante car les péri­pé­ties sont nom­breuses et l’auteur sait jouer avec les rebon­dis­se­ments. Mais il donne à son roman un autre aspect aussi attrac­tif. Il se livre à une étude pous­sée de la psy­cho­lo­gie de ses per­son­nages, que ce soit celle de ses enquê­teurs ou celle de ceux qu’ils vont croi­ser. Il décrit des rap­ports humains fait de réserves, d’attentes, de souf­frances occul­tées. Son goût pour l’élaboration de ses pro­ta­go­nistes trouve une belle expres­sion.
À cela, s’ajoute une manière très per­son­nelle de dépeindre les situa­tions, de décrire les sen­ti­ments, les res­sen­tis, les émo­tions. Il pro­fesse éga­le­ment un attrait pour les belles images, pour ces illus­tra­tions, ces com­pa­rai­sons si justes et per­ti­nentes. Ainsi, lorsque l’héroïne revient vers la ville : “…elle buta sur les pre­miers stig­mates urbains, plon­geant au cœur du can­cer, la pro­li­fé­ra­tion anar­chique de cel­lules miné­rales pous­sant à la ver­ti­cale.” Ou, par­lant d’une mère de famille : “Bien sûr qu’elle était heu­reuse. Com­ment ne pas être heu­reuse après avoir assouvi ses rêves de petite fille et refoulé ses rêves de femmes.

Orphe­lines et une belle traque d’un tueur en série par un couple atta­chant d’enquêteurs, ser­vie par un style enlevé et un art cer­tain du récit.

serge per­raud

Franck Bouysse, Orphe­lines, J’Ai Lu n°12 778, coll. “Poli­cier –Thril­ler”, mars 2021, 224 p. — 7,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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