1914. la guerre vide le pays des hommes valides. Sur une île bretonne, ne restent plus que les femmes, les enfants et les vieux.
Maël, parce qu’il a un pied-bot, échappe à la mobilisation. Il est le seul homme jeune et vigoureux. Il devient facteur et… amant.
Le 26 août 1918, un groupe de femmes est réuni autour d’une nouvelle tombe, celle de Maël. La guerre est bientôt finie et, avec elle, c’est la remise en cause de l’émancipation de ces femmes, de leur liberté. Pour certaines d’entre elles c’est l’obligation d’oublier ce qu’elles ont appris de l’amour, les caresses et le corps d’un homme… d’un autre homme.
À l’été 1960, Linette, revenue d’Australie, regarde souvent la photo de ce groupe de femmes devant la tombe de son père. Sa mère lui a révélé la vérité. Mais, c’est Simone qui décide de lui raconter ce qui s’est passé après car sa mère ne savait pas tout. Après la mort du facteur, les femmes font le serment de se taire, de faire front pour que personne ne sache ce qui s’est passé, que le décès de Maël reste un accident. Cependant, si certaines sont fortes et tiendront leur engagement, d’autres sont plus fragiles.
Les retrouvailles avec leurs hommes, ceux qui ont pu rentrer, ne sont pas sources de joies. Elles avaient goûté à une liberté qu’on veut leur confisquer. Et puis, des enfants dont on ne s’est peut-être pas suffisamment méfié deviennent adultes et se souviennent…
Facteur pour femmes a fait l’objet d’un volume paru chez Bamboo en septembre 2015. Il devait rester un one shot. Didier Quella-Guyot n’avait pas envisagé une quelconque suite, ayant traité le sujet tel qu’il l’entendait. C’est son épouse qui lui a suggéré de raconter ce qui a pu se passer après, avec le retour à une vie comparable à celle d’avant la guerre, la volonté de garder un secret sur une triste affaire.
S’appuyant sur une nouvelle idée forte, autre qu’un retour à la vie quotidienne, il reprend une partie des héroïnes et intègre de nouveaux venus. C’est ainsi qu’un nouveau et jeune curé va s’interroger à partir de détails intrigants et d’évocations voilées lors de confessions. Quelle redoutable idée que cette pratique, organisée par le conclave de Latran de 1215, pour tout connaître de la vie des gens ! Ce fut la création du plus formidable réseau d’espionnage à côté duquel KGB et CIA font piètre figure.
Dans ce récit, Didier Quella-Guyot conçoit une belle galerie d’héroïnes, des femmes qui se battent au quotidien contre un état d’esprit imposé par des hommes à qui il ne donne pas spécialement le beau rôle.
Un second volume à la fois humaniste et féministe, une belle pièce pour défendre la moitié de l’humanité alors que tant d’injustices existent et tant de régressions se font jour.
Sébastien Morice n’a pu continuer le graphisme, retenu par d’autres travaux. C’est Manu Cassier qui assure la continuité, tâche peu commode car il fallait prendre en compte les acquis du premier tome. Des héroïnes étaient déjà créées. Il devait poursuivre, sans dévoyer ni recréer l’atmosphère sur l’île. Avec un dessin épuré, il reprend avec brio le flambeau, donnant à ses femmes une belle stature et aux décors une belle réalité.
Sa mise en couleurs, plus sombre, souligne fort bien l’ambiance lourde sur cette terre bretonne et met en valeur la gravité de cette époque.
Avec ce Livre 2, Didier Quella-Guyot et Manu Cassier offrent un volume à l’intrigue subtilement orchestrée, jouant sur des temporalités variées jusqu’à un dénouement riche en révélations, une histoire mise en images de belle manière.
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serge perraud
Didier Quella-Guyot (scénario) & Manu cassier (dessins et couleurs), Facteur pour femmes — Livre 2, Bamboo, coll. “Grand Angle”, mars 2021, 112 p. – 18,90 €.