Didier Ayres, Cahier, “Fragment III ou Le poème”

 

Cahier, “Frag­ment III” ou Le poème 

Le poème. Sub­siste. Attend. Veille. Non par lui-même, mais dans l’action de sai­sir. Sorte de proie. Véne­rie. Il se donne et on ne sait pour­quoi. Car il peut dire, taire, entendre, sous-entendre, rece­voir, opé­rer.
Il ne se sin­gu­la­rise doré­na­vant que par traces, les­quelles s’effacent au fur et à mesure de la lec­ture. Il cir­cons­crit. Il tente de dis­pa­raître. De réduire sa véra­cité pour que la vérité se donne au lec­teur, lec­teur conçu ici comme un interprète.

L’équi­libre est dif­fi­cile. La chose écrite valant pour défi­ni­tion, défi­nis­sant là un objet de lec­ture. Sans quoi il n’a de vie que brève. Dif­fé­rence d’avec le récit. Ce der­nier, doit faire bloc dans la mémoire. Il demande une mathé­ma­tique de la durée, car le roman a un début et une fin.
Entre ces deux périodes, la mémoire des lieux, des per­son­nages, des aventures.

Le poème se tient davan­tage sur une crête. Sans presque de durée. Sur­tout, sans durer, car c’est le vif qui est sa ques­tion. Pris dans l’hymne des fins. Si proche de la mort.
Mais pas du mou­rir, car mou­rir ne tient pas devant la forme poé­tique si celle-ci va au bout de sa logique, ce qui ainsi laisse entendre que le poète cherche une issue, une voie vers la fin, ou plu­tôt hors de la fin phy­sique vers une fin spirituelle.

La mort, la nuit, la soli­tude, la nature, écrire. Unique pro­gramme du poète. Il se tient au cré­pus­cule du texte.
Il n’explique rien. Sur­tout, ne rien expli­quer mais pré­sen­ter. Çà, l’horloge de l’après-midi, et là, la dis­pa­ri­tion du temps.

L’auteur, mani­feste sa per­sonne bien sûr, et se décalque dans le poème. Est-ce l’essence ? En tout cas, pas celle d’une volonté aca­dé­mique.
Des voies, des che­mins dont l’auteur ne connaît rien peut-être mais qu’il invente au gré de son tra­vail. Il se prononce.

Ma per­sonne som­meille dans le poème. Dans celui que je lis comme dans celui que j’écris. Cher­chant à mou­rir, à s’éteindre. Tout pour le texte.
Le texte où meurt la per­sonne. Mou­rir de la lumière. Mou­rir à l’obscurité.

Le texte et sa double pré­sence : dire et conte­nir.
Faire signe.

didier ayres

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