Rasmus Lindberg : suite et début
Les éditions espaces 34 viennent de publier une nouvelle pièce du jeune auteur suédois, Rasmus Lindberg. Elles ont déjà édité deux de ses textes plus anciens, écrits en 2005 et 2006 toujours traduits en français par Marianne Ségol-Samoy. Le premier, Plus vite que la lumière et le second, Le mardi où Morty est mort, qui fit connaître le dramaturge, dans notre pays, grâce à sa création scénique en 2013, au C.D.N de Montluçon, dans une mise en scène de François Rancillac.
Ces deux oeuvres proches dans la chronologie de l’oeuvre permettent de cerner un certain nombre de lignes de force de ce théâtre inventif formellement, avec un jeu à l’intérieur de très nombreuse scènes, qui sous-tend un rythme rapide et juxtapose les époques et les âges des personnages. Le dispositif de la distribution des rôles est assez similaire.
En effet, Lindberg propose, alors que la liste des personnages est étoffée à chaque fois, de confier à trois actrices et deux acteurs (Plus vite la lumière) et deux actrices et deux acteurs (Le mardi où Morty est mort ), l’incarnation de ces personnages.
D’autres éléments fondent une unité d’écriture. Ainsi les lieux de l’action correspondent-ils, dans les deux pièces, à des coins un peu perdus du nord de la Suède d’où est originaire Lindberg. Des endroits comme le café du village, le cimetière, le supermarché suffisent à planter le décor de vies modestes, plus ou moins ratées ; certains personnages chercheront d’ailleurs à aller vivre ailleurs – aller vers le sud : Anna dans Plus vite que la lumière veut s’installer dans la ville universitaire de Lund ; Amanda, dans l’autre pièce, veut voyager, partir travailler à l’étranger.…
Ce qui frappe, c’est évidemment la noyau dramatique des couples : il sera encore très présent dans Habiter le temps. Le couple renvoie aux diverses générations ; des grands parents aux petits-enfants. Le couple est une défaite ; celle de la mort comme dans Plus vite que la lumière où il est question du décès de Roland Lampainen, mari de Rut ou dans Le mardi où Morty est mort, la disparition de l’époux d’Edith, Johan Esmark. Il est surtout une défaite sentimentale qui fait se déchirer Amanda et Sonny ( cf. Le mardi où…) ou Tore et sa femme pasteur, dans la même pièce, Anna et Christian dans Plus vite que la lumière.
Les conflits conjugaux et sentimentaux engendrent de nouvelles configurations : le beau Herbert séduit Amanda ou à l’inverse Lennart, l’amoureux de jeunesse est évincé par Rut. D’une manière plus large, Lindberg décrit une certaine faillite du fameux modèle suédois : chômage, montée de la xénophobie. Dans Plus vite que la lumière, Lennart se fait « virer » ; Dilsoz tient le café et Tore veut y mettre le feu parce que les « étrangers » selon lui, nuisent aux intérêts des Suédois. Les deux pièces relèvent en vérité, d’une sorte de jeu de massacre qui touche jusqu’au langage souvent réduit à de simples onomatopées ( ARRGH, HUPF, AOUAAH, OH…). Le burlesque traduit la dimension comique de la déchéance des êtres.
Un des points communs qui frappe les esprits dans ces deux pièces, c’est certainement la présence de deux animaux. Dans Plus vite que la lumière, la pièce s’ouvre sur le monologue d’un chat, en train de tomber dans le vide et qui sera à nouveau présent dans plusieurs scènes (6–17– 22–35). La pièce s’achève sur une didascalie marquant la fin de cette chute : Le chat percute le sol. Se met à briller comme une étoile.
Certes la littérature nous a habitué à ces personnages de chats, de La Fontaine en passant par Perrault jusqu’au Béhémot de Boulgakov mais le théâtre à l’exception du Chanteclerc de Rostand, n’ est guère animalier. Le chat de Rut est à la fois un esprit scientifique évoquant Einstein et sa théorie de la relativité mais aussi la victime des hommes puisque l’on saura, vers la fin de la pièce, que c’est Lennart qui le jette du toit. N’est-il pas en fait une métaphore de la Chute qui touche d’une manière ou d’une autre tous les personnages ? Une forme de Catastrophe au sens étymologique du mot.
Dans Le mardi où Morty est mort, nous retrouvons cette fois-ci, un chien : il ne tient pas des propos savants comme le chat. Il aboie simplement (ouaf) et il porte un nom, Morty, comme tout chien domestique qui se respecte. Son maître Herbert l’a malmené alors que ce dernier pense que son chien seul le comprend. Morty a donc pris la fuite. Là encore l’animal sera tué par un homme : Sonny, rival d’Herbert.
D’une certaine manière, les bêtes valent mieux que les hommes, semble nous dire l’auteur. Et au-dessus des bêtes, il y a les anges. Dans Plus vite la lumière, c’est l’ange de la neige de la lune et des étoiles qui en chantant, Fix you du groupe Coldplay, clôt la dramaturgie de la parole humaine et dans le second texte, c’est le chien Morty qui se métamorphose en ange et annonce en parlant pour la première fois, la fin de la pièce : Et ce fut la fin de ce mardi.
En somme, le théâtre de Lindberg nous renvoie à la musique tintinnabulante du compositeur estonien Arvo Pärt ( il le cite) qui fragmente, qui répète les sons comme Lindberg le fait avec les mots, en quête d’un monde céleste.
lire un extrait de :
marie du crest
Ramus Lindberg, Habiter le temps, Espaces 34, 2021, 112 p. — 15,00€.
…pièce qui entraîne un désir de mieux connaître; j’ai songé à ibsen, que j’ai beaucoup relu il y a peu; l’ensemble m’a paru plus grand que la pauvre réputation figée de naturaliste; merci pour cette découverte; ma vie est un peu compliquée à cause (grâce à ?) une résidence d’écriture à poitiers (poésie japonaise classique); da.