Denis Guénoun, Matthieu

Matthieu ou Com­ment pré­nom­mer 

J’ai été tou­ché par le livre de Denis Gué­noun à plus d’un titre. D’abord parce que l’auteur s’y livre sans ombre, tout en res­tant en contact avec sa per­sonne et les réa­li­tés du désir, ce qui pour finir habite tout texte.
Ainsi, que cela soit Mathieu ou Phi­lippe pour l’auteur, ou encore pour ce qui me concerne, Fran­çois — pre­mier cama­rade de classe élé­men­taire -, l’on gagne à digres­ser autant en mesu­rant le désir et l’investissement affec­tif, que la rela­tion au sou­ve­nir, au passé.

Car le livre est plus bio­gra­phique (si je puis dire, car cette ter­mi­no­lo­gie est com­plexe) que théo­lo­gique. On y voit l’apôtre Mat­thieu sous diverses lumières : celle de la pein­ture, de la musique ou du cinéma. Dès lors, la pen­sée danse, en cercle comme une buse, là où désir il y a.
Mat­thieu assi­milé à Mathieu tient sa force de son pré­nom — comme pour Hervé Gui­bert ce Vincent dont il était fou. Le livre est entiè­re­ment satel­lisé sur le pré­nom, en sa forme, en sa décli­nai­son, en son désir, en son sou­ve­nir, en ses avatars.

Il s’agit d’écrire Mat­thieu. Non pas pour le faire entrer dans un pan­théon aca­dé­mique — car sa place dans la théo­lo­gie est assez grande et pro­fuse -, mais plu­tôt afin de le rendre per­son­nel par une approche déli­cate. Cela étant, il n’est pas inter­dit de tirer des consé­quences de la forme du livre, livre en ver­sants, livre palin­drome. Car il est com­posé de cha­pitres tan­tôt en regard du Cara­vage, puis de Bach, puis de Paso­lini, pour redes­cendre en sens inverse, en pas­sant de Paso­lini à Bach, puis au Cara­vage.
Est-ce la pente éter­nelle de tout désir, sorte de course où la pierre de Sisyphe retombe sans ces­ser ? J’y ai vu pour ma part une ten­ta­tive de coa­les­cence lit­té­raire où s’unissent poé­sie, musique et image met­tant en avant ce grand pré­nom de l’Évangile.

De ce fait, grâce à cette explo­ra­tion jointe et unie à beau­coup d’éléments bio­gra­phiques, j’ai pu tra­ver­ser les limites du sacré et du pro­fane, dans une lec­ture buis­son­nante, allant du sou­ve­nir de l’écrivain à de grands textes (musi­caux notam­ment), des impres­sions loin­taines côtoyant de grands évé­ne­ments théo­lo­giques, de l’appétence sim­ple­ment dans son expres­sion phy­sique.
Mat­thieu est attente. Il est un hori­zon. Il est fécond. Il va. Et aller avec lui, c’est aller vers l’énigme de tout Éros.

Ici, on connaît les termes de cet appel, et sur­tout le fait qu’il désigne, expli­ci­te­ment, ce dont nous par­lons, l’acte sur lequel débouchent ces convo­ca­tions : suis-moi. Il s’agit donc bien de cela, le suivre, lui. Non pas : viens, pour faire ceci ou cela, mais pour suivre, le suivre, tout bonnement.

Ou

Où trou­ver alors mon Mat­thieu ? Je n’ai asso­cié le pré­nom, dès la ren­contre avec le film, qu’aux visages des apôtres, pêcheurs médi­ter­ra­néens un peu éden­tés, aux mâchoires larges, aux corps ter­riens, hommes faits ou ragazzi d’une subli­mité tout étran­gère à l’androgynie voi­lée ou dévoi­lée des enfants de Cara­vage, comme à la nudité ath­lé­tique de ses bourreaux.

En somme Mat­thieu serait une quête de la parole, la nomi­na­tion d’une parole. Déci­dé­ment, ce livre n’est pas une exé­gèse, mais plu­tôt une recherche sur soi, peut-être ins­pi­rée des décou­vertes pos­sibles du psy­cha­na­lysé ou de celui qui se livre­rait au tra­vail lit­té­raire du cadavre exquis, ou encore peut-être à la mobi­li­sa­tion de l’intelligence comme le néces­site le Tal­mud, étude de l’étude, digres­sion de la digres­sion. On vaque, tou­jours est-il.
On va en pro­fon­deur sou­vent, là où une rela­tion au divin n’est pas inter­dite — la musique de Bach par exemple, qui tire des larmes à cer­tains (dans mon cas c’est le Mag­ni­fi­cat), ne se conçoit pas hors de la croyance. Sont-ce les signes lumi­neux du des­tin, des Parques chu­cho­tant à l’oreille de l’écrivain sa voca­tion impérieuse ?

En mon for inté­rieur, je me suis iden­ti­fié à cette vision.
Car j’y ai trouvé les grands uni­ver­saux : l’âge, la mort, l’amour, le sou­ve­nir, l’angoisse et l’art

didier ayres

Denis Gué­noun, Mat­thieu, éd. Labor et Fides, 2021 — 17, 00 €.

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