Le roman d’Alina Nelega, comme d’ailleurs la trajectoire de l’auteure, montre que rien n’empêche d’oser et qu’il faut vaincre les peurs et les menaces que idéologie et culture font peser sur les êtres et particulièrement les femmes.
Et ce, là où ce long et grand roman commence : à savoir sous la chape soviétique, la dictature de Ceausescu . Le tout dans une petite ville de province roumaine.
L’auteure prouve que tout respect est imbécile car c’est celui du néant, accompli dans la souveraineté de la mort du vivant. Si bien que ce roman est un flot de paroles qui se libèrent face à ceux (et celles) qui veulent empêcher le cœur de battre quitte à accuser les “justes” d’ineptie et d’infamie.
C’est vieux comme le monde, mais une telle fiction permet d’élever la voix féminine et lesbienne de l’héroïne contre ceux qui la condamnent.
Le roman remonte ainsi toute l’existence de deux femmes avec abondances de détails (certains peuvent échapper à qui connaît mal l’histoire et la géographie roumaines) pour montrer la vie dans ses plis et sans un parti pris systématique. Car si thèse il y a — et en tout récit il en existe une — elle passe ici plus par la langue que par assignation d’une morale rhétorique.
L’auteure raconte pour montrer comment les poches de résistances (Securitate, Parti, qui organisaient pénurie et corruption hier comme des forces qui leur ressemblent aujourd’hui) fonctionnent pour mettre la liberté en péril. Celle-ci est d’abord et toujours individuelle : si bien qu’elle n’est jamais acquise.
Et la seule harmonie est permise à la langue. Ici, elle permet d’aimer hors des gonds et de soutenir celles qui ne s’inclinent jamais par convenance ou obligation.
jean-paul gavard-perret
Alina Nelega, Comme si de rien n’était, trad. du roumain par Florica Courriol, Des Femmes — Antoinette Fouque, 2021, 288 p. — 22,00€.