Théâtre jeunesse ou la jeunesse du théâtre ?
Le théâtre jeunesse, après le livre jeunesse, est devenu un véritable phénomène éditorial, et logiquement un véritable enjeu de programmation dans les diverses structures culturelles, orienté par des cahiers des charges en direction du « jeune public ».
La plupart des grands éditeurs de théâtre français propose une collection spécifique en direction des enfants ou des adolescents ; c’est le cas ainsi pour Les Solitaires Intempestifs, les Editions théâtrales, Espaces 34. L’Arche éditeur va encore plus loin puisqu’il distingue une collection jeunesse avec des textes, par exemple de Jon Fosse, et une collection « jeunesse ados », qui compte pour le moment, trois titres : deux du québécois Daniel Danis et un de F. Melquiot.
Cette expansion en quelque sorte du théâtre « général, adulte », en direction de jeunes spectateurs ( on pourrait s’interroger sur la réalité de ce théâtre, en termes de lectorat) s’appuie aussi sur des institutions spécifiques telles que le Théâtre Nouvelle Génération à Lyon ou Am Stram Gram à Genève. Des prix littéraires ont vu également le jour, comme celui de « la littérature dramatique jeunesse », les ateliers théâtre en milieu scolaire.
La question qui peut surgir sur le champ est celle de la reconnaissance de cette dramaturgie : un théâtre « mineur » pour des mineurs ! Si l’on recense les auteurs qui écrivent pour ce théâtre jeunesse, force est de constater que des grands noms du théâtre contemporain français ou étranger prennent part à ces oeuvres. Edward Bond fut sans doute l’un des tout premiers écrivains de théâtre à accorder une place importante dans son oeuvre à ce public et à ses personnages, à ce langage. Sa pièce, The Children illustre cette approche. Mais on pourrait citer encore, le norvégien Jon Fosse, le portugais Tiago Rodrigues, Claudine Galéa, Fabrice Melquiot pour le domaine français et tant d’autres. Jean-Claude Grimberg n’écrit-il pas : « écrire pour la jeunesse, c’est donner de l’air. » ?
Ce qu’implique cette dramaturgie, c’est justement la mise en exergue d’un point de vue particulier, à hauteur d’enfant, d’adolescent ( on remarquera que souvent l’âge des jeunes spectateurs est précisé avec la formule à partir de X ans). Le théâtre jeunesse va d’ailleurs souvent s’appuyer sur des formes littéraires qui, historiquement, ont accompagné la littérature jeunesse comme le conte ( merveilleux ou pas ), la fable ou parabole avec des incarnations, des personnages en miroir avec les lecteurs ou spectateurs.
Des enfants, des ados plus ou moins figurés sur le plateau et dans la salle. La dernière et courte pièce, Frisson de Magali Mougel, chez espaces 34 permet d’une certaine façon, de décrypter certaines lignes de force du théâtre jeunesse. Les deux personnages centraux du texte sont deux jeunes garçons : Anis et Elyas. Une écolière, Elianore, la pipelette, complète ce trio enfantin, pivot de l’écriture jeunesse. Face à eux, deux mères, Maman et sa Monette. Les noms qui désignent ces figures explicitent ouvertement ce registre de l’enfance y compris celle des lecteurs-spectateurs.
L’auteur choisit maman et non la mère, Monette et sa terminaison hypocoristique ainsi que la fantaisie des prénoms des enfants. La typographie même imite celle des jeunes garçons ou filles : pictogramme de coeur , surabondance de points d’exclamation, lettres grasses etc. Mais c’est bien le propos éthique, social qui retient l’attention et qui s’inscrit dans une logique de fable illustratrice : une situation qui reprend des comportements identifiés tels que la jalousie d’un fils unique et qui tend à les amender ( apprendre le partage).
Il s’agit pour Anis d’accepter, dans un premier temps, l’idée d’avoir un frère et de n’être plus le seul à être aimé et, dans un second temps, de concevoir une nouvelle vie avec un enfant (Elyas) de son âge, recueilli par ses deux mères. Tout finit par s’arranger et la nouvelle fratrie s’épanouit. Une nouvelle famille est possible et sera heureuse.
On peut se demander si le seul rôle du théâtre jeunesse est uniquement de sensibiliser son public à des thématiques contemporaines ( le racisme, la violence, l’homoparentalité, le divorce, l’adoption, la guerre…) ou de lui faire découvrir ce mode d’expression afin qu’il devienne un amateur éclairé de théâtre plus tard ?
Le théâtre jeunesse peut-il enfin toucher tous les spectateurs par-delà les différences d’âge ? Dans le meilleur des cas, la réponse sera oui. Cependant, un texte comme Neuf petites filles de Sandrine Roche n’a pas été édité dans une collection jeunesse. Koltès imagina, il y a longtemps déjà, le personnage de la gamine, dans Roberto Zucco peut-être parce que l’enfance est aussi l’enfance de l’art.
lire un extrait de Frisson
marie du crest
Magali Mougel, Frisson, espaces 34, 2021, 48 p. –6, 00 €.