Anthony Beevor, Stalingrad / La chute de Berlin

Deux ouvrages où l’horreur de la guerre est ren­due pal­pable jusqu’à l’insoutenable

La guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier à des mili­taires avait dit un tigre mous­ta­chu. Si l’axiome se véri­fie en démo­cra­tie (cf la France de juin 40), il est assez peu cré­dible dès lors que l’on se trouve en dic­ta­ture. C’est là une des conclu­sions, et non des moindres, que l’on peut tirer de la lec­ture des deux ouvrages d’Anthony Bee­vor, Sta­lin­grad et La Chute de Ber­lin.

 

Bien que le style soit aussi froid qu’une lame de rasoir, ces deux bou­quins laissent les doigts pois­seux de haine, de sang et de larmes. L’estomac est aussi de la revue dès lors que les consi­dé­ra­tions stra­té­giques laissent la place à une des­crip­tion métho­dique des hor­reurs com­mises par les deux camps.

Deux faits, comme cela pris au hasard : dès sep­tembre 1942, avant même que les troupes alle­mandes n’aient péné­tré dans Sta­lin­grad, les Ein­zats Grup­pen, ces com­man­dos d’hommes tran­quilles char­gés d’éliminer juifs et com­mu­nistes — la conjonc­tion de ces deux qua­li­fi­ca­tifs étant fort appré­ciée par les auto­ri­tés nazies — ces com­man­dos spé­ciaux donc, qui sui­vaient la Wer­macht dans tous ses dépla­ce­ments, étaient déjà à l’œuvre, si l’on peut dire, et fusillaient parce que c’était comme ça, femmes, enfants, vieillards et tout le lot des reca­lés du conseil de révi­sion. Ainsi, avant d’avoir une idée quant à l’issue de la bataille, on net­toyait d’avance la place de ses élé­ments cor­rup­teurs. Délire idéo­lo­gique qui se résume en un chiffre : 20 mil­lions. 20 mil­lions de morts du côté sovié­tique ! Et ces morts-là allaient peser lourd à l’heure de la recon­quête. La guerre est une affaire trop sérieuse… En effet, quand on songe que les Sovié­tiques ont fusillés 15000 de leurs sol­dats à Sta­lin­grad, soit l’équivalent d’une divi­sion. Le régime sta­li­nien n’a jamais été très au fait de la valeur réelle d’une vie, mais de là à faire le bou­lot des nazis !

On n’imagine pas, sous nos lati­tudes bénies et pétries d’idéal démo­cra­tique rai­sonné, ce que l’irrationnel, érigé en sys­tème de gou­ver­nance, peut pro­duire chez un homme nor­ma­le­ment consti­tué. Il suf­fit de jeter un coup d’œil sur ces deux livres pour en avoir une idée.

E
t puis il y a la crasse, le froid, la ver­mine, la peur, le car­nage, l’abandon, la sou­mis­sion, les exac­tions per­pé­tuées à la chaîne, le sang aussi, la honte et la colère. Et puis la haine, encore et tou­jours la haine. Elle sup­porte chaque geste, pré­side à toutes les actions et façonne le sol­dat selon son idéal. Elle est tel­le­ment là cette haine qu’elle en devient une habi­tude, une drogue dure dont le sevrage d’après 8 mai sera des plus durs à gérer. “Vous savez pour­quoi nous devons nous battre jusqu’à la vic­toire ?” demande un jeune homme dans un tram­way bondé de Ber­lin alors que les canons russes ne sont qu’à quelques kilo­mètres, “hé bien, avec ce que nous avons fait en Rus­sie, il vaut mieux pour nous que nous en sor­tions vain­queurs !!” Lucide.

Si l’on mesure toute entre­prise humaine au béné­fice que l’on peut en tirer, la guerre, que l’on soit vain­queur ou vaincu, est vrai­ment la der­nière des actions à entre­prendre. Ces deux livres en sont l’illustration.

Encore un point : tous les hommes ayant les che­veux rasés étaient sys­té­ma­ti­que­ment fusillés par les Alle­mands au cours de leur offen­sive de 1941 en Rus­sie. Voila quelque chose que nos nazillons ton­dus devraient méditer.

fre­de­ric bourtayre

   
 

-  Anthony Bee­vor, Sta­lin­grad (tra­duit par Jean Bour­dier), Le Livre de Poche, 2001, 605 p. — 6,10 €.
Pre­mière édi­tion : De Fal­lois, 1999.

-  Anthony Bee­vor, La Chute de Ber­lin (tra­duit par Jean Bour­dier), édi­tions De Fal­lois, 2002, 512 p. — 22,00 €.

 
     

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