Maître de la bande dessinée, Emmanuel Guibert a reçu le Grand Prix de la ville d’Angoulême pour son oeuvre.
Mais ici, il quitte le monde des images pour celui de l’écriture où il fait preuve d’une rédaction impressionnante où la pudeur est là pour évoquer une amitié rare entre lui et un architecte américain auquel le livre devient un image port-mortem — donc in memoriam — et dans tout un jeu entre les paysages qu’ils observèrent ensemble et les dessins qui en donnèrent leurs interprétations.
La vie, le sentiment du temps qui passe et donc la mort sont ici en interaction. Guibert possède au sein de cette évocation une faculté à analyser le temps selon divers angles. Pendant longtemps le narrateur reconnaît qu’il n’y eut pas “une once de vieillesse en moi”. Toutefois, et à l’inverse, désormais “j’éprouve chaque jour un peu plus ce que le temps fait à l’enfant pour le replier vers la vieillesse”.
Et d’ajouter : “je n’ai pas eu le temps de devenir autre chose”. Et c’est un peu de Proust à l’état pur.
L’être restera dorénavant “un journal de la veille”. Mais l’auteur ne se complaît en rien dans le pathos.
Et même s’il contrefait certains vieillards, il ne touche pas à la mort car elle le saisit de trop près avec la disparition de Mike. Certains blasphèmes ont leur limite et Guibert le sait.
Tout ici est superbe, tragique et sobre. L’auteur a trouvé la juste focale pour évoquer l’art de la vie et celui qui précède la fin. Attentif à son ami, Mike lui “donne l’illusion d’un demi tour”. Mais les deux n’en sont pas dupes. Et le sujet de fond de l’humanité reste là.
Il fait espérer que la critique — qui n’aime pas trop les créateurs “intrusifs” qui changent de registre — ne parle pas de ce récit comme celui d’un auteur de B.D. mais de littérateur à part entière. Le dessin fait le dessein de l’écriture comme il fut ou demeure dans le destin des deux créateurs.
Et pour répondre à l’ami qui l’appelle au seuil de sa mort, l’auteur sait rester “Gorille” : celui de Brassens et qui est supérieur à l’homme car il a quatre mains pour accueillir. Le narrateur s’en souvient en répondant parfaitement à l’injonction de l’épouse de Mike à qui il demande conseil en ces moments de trépas ; “fais ce que bon te semble” dit-elle.
Perdure un rituel de frères humains que l’auteur évoque comme peu seraient ou sont capables de le faire.
Guibert évoque Stendhal dans son livre. Et il y a dans ce récit ce même style de ce qu’on nommera une neutralité sensible.
Aucune larme n’en tombe mais le système de narration rend l’amitié plus profonde.
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jean-paul gavard-perret
Emmanuel Guibert, Mike, Gallimard, coll. Sygne, janvier 2021, 272 p. — 20,00 €.