Les éditions NBE proposent la collection “pornoésies & autres”, constituée d’ouvrages pour dire au singulier le plaisir et la sexualité à travers des voix de femmes qui osent un autre regard sur la sensualité et l’érotisme.
Souvent audacieuse, Dominique Baqué s’empare d’un classique de la littérature érotique marqué d’une forte empreinte masculine : le Gamiani ou Deux nuits d’excès d’Alfred de Musset. Ce livre est considéré comme l’unique récit sauvagement érotique du romantisme et le plus publié clandestinement pendant un siècle.
Dans ce court roman dialogué de la littérature pornographique, Alfred de Musset va très loin dans la description de pratiques sexuelles perverses. Huysmans y voyait « des femelles cabrées, dont les torses craquent et dont les jambes s’entrouvrent, laissant voir un épanouissement de fleurs rouges, dans des fourrés de broussailles ! ».
Dominique Baqué veut transformer l’original en une dystopie radicale où l’obsession de la débauche de quelques un(e)s règne en maître en une époque où le plaisir sexuel est interdit au profit de la seule procréation et se vit au péril de son existence sous le contrôle d’une police “des moeurs” toute puissante.
Paris n’y est plus une fête. Après le XIX ème et le XXème siècle, Covid aidant, ” la capitale des Lumières, n’était plus qu’un champ de ruines, au travers desquelles il était difficile de se frayer un chemin. Impossible de se promener seul, moins encore de flâner, il fallait respecter les heures « ouvertes » et marcher en groupe “. Reste néanmoins Lou Andréas, pâle héritière d’une longue lignée d’aristocrates et sa galerie d’un art désormais interdit car il distrayait les masses.
Pour se sauver après s’être repliée dans sa cave, “montrant encore à de rares élus – qui y risquaient leur peau” des blockbusters et des “films totalement ésotériques” (Godard, Truffaut, Rohmer, Chabrol et leurs épigones”), l’héroïne entame avec son groupe une dérive exacerbée de l’hubris. D’où une sorte de road-movie pornographique et apocalyptique. Mais il y a loin d’ici à Sade, Bataille, Genet dont — en une telle époque — les livres ont disparu.
Celles et ceux qui remplacent les héros de de Musset dans leurs deux nuits d’amour à trois sont bien en-deçà de l’orgasme façon XIXème siècle. Les “monstres” libertins et libertaires de notre temps, tels que Baqué les décrit, n’en sont que de pâles ersatz.
L’évocation n’est pas métamorphosée comme chez Alfred de Musset. En peu de mots il établissait une situation, un caractère et ce, malgré les grands nombres de scènes des plus trashs. Ici, tout est plus caricatural. Notamment en voulant trop imposer les modes et les motifs du temps. Certes, par ce biais, Dominique Baqué tente une attaque sociale mais cela manque de puissance là où le mélange d’humour et de sérieux ne prend pas.
Et ce que l’auteure prête comme pensées, désirs, fantasmes aux femmes reste plutôt caricatural (autant qu’un critique homme peut l’estimer…) et ne se veut qu’un contre-pied superficiel à ce qui est habituellement accordé aux hommes.
Si bien que ces “Nuits d’excès” sont tout au plus un amusement hard-core sans grand intérêt. Et nous le regrettons. De la part d’une telle auteure, lecteurs et lectrices attendaient mieux.
jean-paul gavard-perret
Dominique Baqué, Deux nuits d’excès, NBE éditions, février 2021 — 12,00 €.