Daniel Dezeuze, Ecrans/Tableaux (exposition)

Le pas au-delà — Dezeuze le délinquant

Daniel Dezeuze reste le plus radi­cal des maîtres de “supports/surfaces”. Dépas­sant la pein­ture elle-même, ses tableaux ne se rap­portent qu’à eux-mêmes. Ils ne font pas appel à un « ailleurs » ( per­son­na­lité du créa­teur, sa bio­gra­phie, l’histoire de l’art).
Et les pro­jec­tions men­tales sont sou­mises à un nou­veau régime de re-présentation. Il ne s’agit ni d’un retour aux sources, ni de la recherche d’une pureté ori­gi­nelle, mais de la simple mise à nu des élé­ments pic­tu­raux qui consti­tuent le fait pictural.

Tandis qu’un Say­tour pei­gnait l’image du châs­sis sur la toile, comme l’écrivait Vial­lat, “Dezeuze peint des châs­sis sans toile”. Sa démarche accorde une impor­tance égale aux maté­riaux, aux gestes créa­tifs et à l’œuvre finale.
Le sujet passe au second plan. Dezeuze dis­so­cie donc la toile du châs­sis et emprunte un regard plus radi­cal que jamais.

L’expo­si­tion Ecrans/Tableaux pour­suit une réflexion de plus de qua­rante ans autour du rôle, de l’histoire et de la pra­tique de la pein­ture. Mais elle dépasse désor­mais son ques­tion­ne­ment pre­mier. A une époque du numé­rique et la pro­li­fé­ra­tion des écrans Dezeuze per­met de replon­ger dans un uni­vers de sup­ports désos­sés, de maté­riaux déman­te­lés et d’objets détour­nés.
Sor­tant du pur châs­sis des élé­ments inhé­rents à la pein­ture, il étend son approche par exemple à des assem­blages de skis qui deviennent des cal­li­gra­phies et des acces­soires de jar­din qui se méta­mor­phosent en peintures.

Daniel Dezeuze engage tou­jours un pas au-delà de la pein­ture sans pour autant cares­ser dans le sens du poils les symp­tômes d’une société emprise à la déma­té­ria­li­sa­tion. L’artiste pos­sède d’autres ambi­tions. Il repousse tou­jours ses propres codes, pour se réin­ven­ter dans une his­toire de l’art où le tableau reste pour lui : ” objet réel et objet de connais­sance”.
Sans lyrisme, l’artiste laisse de plus en plus poin­ter “une sen­sua­lité” et selon un for­ma­lisme révisé en une entre­prise pic­tu­rale ouverte dans des varia­tions plus imper­ti­nentes que celles de Vial­lat pour lequel la varia­tion bas­cule par­fois dans la répétition.

Sortant de la pulpe du réel mais sans le reje­ter, Dezeuze reste un habile poète pic­tu­ral, déviant et habité. Il sait inver­ser les banales syn­taxes visuelles. Demeure chez lui cette néces­saire et insol­vable liberté où la “pein­ture que pein­ture” s’abroge de bien des dik­tats.
Bref, il reste ce délin­quant qui fait four­cher la langue plas­tique et va à tâtons mais sur­ement en cher­chant, non un sceptre pour régner ou un spectre pour faire la malin, mais une lampe à la Reverdy pour nous éclairer.

jean-paul gavard-perret

Daniel Dezeuze, Ecrans/Tableaux, Gale­rie Tem­plon, 30 rue Beau­bourg, Paris, à par­tir du 27 mars 2021.

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