Yannick Bonvin Rey crée des espaces de mystère par le langage pictural. Ils jaillissent ou s’étalent non sans volontaires “accrocs” par tout un travail méticuleux de lignes et des strates de matière. Et ce, entre l’abstraction et une forme de figuration. La créatrice se rapproche d’une esthétique extrême-orientale mais aussi de Michaux en de telles “émergences, résurgences”.
Tout se métamorphose entre l’éther et le tellurique là où les propriétés du visible et de l’invisible s’irradient mutuellement en une atmosphère étrange et poétique. Jaillit une lumière qui n’est pas un éclairage. Elle vient en effet de la profondeur de la toile aussi raturée (parfois) qu’ouverte. Emerge une vision de l’intime par les formes et les couleurs souvent de limbes. En sourd ce qui ne possède ni de nom ni de formes apprivoisées.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière du jour et l’amour de ce que je fais.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les ai patiemment cultivés et finis par croire qu’ils étaient possibles.
A quoi avez-vous renoncé ?
Au « Tout, tout de suite». Avec le temps la lenteur m’intéresse davantage.
D’où venez-vous ?
De la montagne.
Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
Le goût de la persévérance.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le petit-déjeuner avec miel et confitures maison. Je ne sors jamais de la maison sans avoir vécu ce doux moment.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres poètes, artistes ?
Mon parcours singulier d’autodidacte bien que je ne sois pas la seule dans ce cas-là.
Comment définiriez vous votre approche de la perte ?
J’essaie de l’apprivoiser mais elle m’effraie, surtout la perte des personnes qui me sont chères. La peinture, la lecture m’aident à l’envisager comme partie intégrante de la vie. J’essaie de vivre avec intensité.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Dans l’enfance, l’iconographie religieuse un peu kitch qu’il y avait chez mes grands-parents. Sinon, mon premier choc artistique fut la joie ressentie devant une image d’un tableau de Kandinsky, “Composition VII”.
Et votre première lecture ?
J’ai lu des livres dans l’enfance mais sans y trouver du plaisir. Ma première vraie rencontre littéraire s’est produite avec les poèmes de Verlaine à l’adolescence
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute peu de musique car j’aime le silence. Ce dernier est déjà très habité. J’écoute souvent le Sabat Mater de Pergolesi.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les poèmes de Philippe Jaccottet et plus particulièrement ceux du recueil “A la lumière de l’hiver”.
Quel film vous fait pleurer ?
“Les délices de Tokyo” de Naomi Kawase.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Souvent une femme de plusieurs âges : parfois, je suis celle de ma date de naissance, parfois un parfum d’enfance ou un air d’adolescente me traverse et à d’autres moments j’ai l’impression d’avoir l’âge d’une très vieille femme. Cela dépend des périodes et mêmes parfois des instants de la journée.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Zao Wouki
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Rome.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Pour les peintres : Turner, Le Caravage, Zao Wouki, Soulages, Fabienne Verdier ceux et celles qui cherchent la lumière, une articulation entre le clair-obscur et une forme de transcendance. Les poètes en général et en particulier Philippe Jaccottet, François Cheng et Andrée Chedid qui célèbrent la nature.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un long séjour dans une grande et confortable maison à la montagne ou en bord de mer avec mon homme, mes enfants et mes proches pour partager de savoureuses soirées bien arrosées et discuter autour de la table jusqu’à pas d’heures, danser, rire…
Que défendez-vous ?
L’accès à la culture pour tou.te.s Je suis très attachée à l’article 27 des Droits de l’homme qui dit ceci : Toute personne a le droit de prendre part à la vie culturelle de la communauté. Cela me paraît essentiel.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je suis perplexe face à cette phrase. Je pense qu’on ne donne que ce qu’on porte en soi. De plus, en tant que femme, je suis très sensible à la notion de consentement donc non, je ne partage pas cette pensée.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je n’aime pas cette phrase ; il n’y aucune écoute de la question. C’est difficile de bien écouter et il me semble primordial de trier ses choix et ses réponses. Donc le oui à tout ne peut qu’amener davantage de fourvoiements.
Que pensez-vous de celle de Vialatte “L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau” ?
Elle est pleine d’humour. Elle parle de notre vulnérabilité tout en laissant entrevoir une face cocasse ou coquine de la vie.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Aucune, cela me semble suffisant pour l’instant…
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 12 mars 2021.