Stonewall ou les mémores opprimées
Stonewall résonne dans la mémoire du mouvement d’émancipation LGBT et de ses luttes comme un tournant historique. En 1969, une descente de police dans un bar de Greenwich Village, à New York où se retrouvaient gays, trans, tourne à l’émeute.
La révolte contre les discriminations, les arrestations, les passages à tabac gronde. Rien ne sera plus tout à fait comme avant.
David Léon fait retentir ce mot comme étant la matrice de son dernier texte. Comme dans l’ensemble de son oeuvre, il n’est pas question de simple réalisme mais d’une quête de sens toujours poétisée à travers les images. Cette fois-ci, l’écriture littéraire pure croise les images d’archives en noir et blanc de l’époque et des années qui suivront, images qui fonctionnent comme autant de dispositifs possibles de mise en scène ou comme paroles disant le collectif ( celui du « nous » qui parle).
Souvent le texte est envisagé comme un gros plan sur un visage ( cf « face caméra »). Mais il emprunte aussi à l’image du polaroid, technique photographique qui révèle presque dans l’instant le cliché comme le fait le langage : la tirade amoureuse, intime adressée à John ou à Jules par une drag queen, trahie par les accords au féminin, revient par cinq fois.
Ces deux élans ( politique et lyrique) s’enchaînent mais toujours après une sorte de rupture, de silence et de blanc sur la page. Il faut en faire entendre l’écho.
David Léon ne considère pas le seul soulèvement de Stonewall mais aussi l’attentat en 2016, à Orlando contre la boîte de nuit « The Pulse » qui fit 49 morts parmi la clientèle réunie, en ce jour de marche des fiertés ; massacre commis au nom de l’Etat islamique. L’histoire de l’intolérance se répète.
La pièce ainsi travaille l’absence du dialogue, à la fois fonctionnement de l’échange langagier et surtout modalité de la parole au théâtre. Il n’est plus ici que traces, bribes souvent escamotées par l’absence scénique de l’autre. D’où p. 28–9, la ponctuation des tirets marquant habituellement un changement de personnage qui agit en découpage de monologue ou bien en impossible débat avec le père. Ces propos sont mis à distance, rapportés :
« Tu es la honte de la famille notre risée »
Ses mots, il disait ça cet homme, mon père..
Un peu plus loin, p. 37–8, cette parole d’incompréhension, de rejet traduira à nouveau cette manière d’impasse du dialogue. Dramatique :
Et je te l’avais pourtant dit, papa que je ne me tairai pas.
Toutefois le texte est aussi un chant universel des luttes contre les injustices, celles commises contre le peuple noir, les Palestiniens, les femmes, les plus démunis dans le monde.
C’est bien pour l’auteur, une affaire d’humanité, de cris lancés comme ce que l’on peut lire sur les banderoles durant les marches ou en lettres capitales grasses dans Stonewall de David Léon.
lire un extrait de Stonewall
marie du crest
David Léon, Stonewall , éditions Espaces 34, 2021, 50 p. — 11, 80 €.