Jacques Sicard, Vingt-cinq photographies de Chris Marker

Photo­poèmes

Le der­nier livre de Jacques Sicard, Vingt-cinq pho­to­gra­phies de Chris Mar­ker, est pré­senté comme un guide et un hom­mage post­hume à l’adresse du cinéaste, écri­vain, illus­tra­teur, tra­duc­teur, pho­to­graphe et édi­teur fran­çais, Chris­tian Bouche-Villeneuve dit Chris Mar­ker (né en 1921 à Neuilly-sur-Seine et mort en 2012 à Paris).
Nous savons que le cinéaste abor­dait un pays, ses cou­tumes, l’histoire en temps de guerre ou en temps de paix, en indi­vi­dua­li­sant ses habi­tants, en fic­tion­na­li­sant leurs vécus, s’approchant d’eux res­pec­tueu­se­ment et sen­ti­men­ta­le­ment. Le réa­li­sa­teur ne se mon­trait pra­ti­que­ment jamais, sauf en voix off (une voix recon­nais­sable entre toutes), com­men­tant par­fois des lieux visi­tés, cer­tains ima­gi­naires, les mixant dans un temps arrêté, un hors-temps.

La 4ème de cou­ver­ture se dote de l’image d’un jeune couple coréen, aux traits magni­fiques, issue du livre Coréennes et tirée du film Si j’avais quatre dro­ma­daires (le poème d’Apollinaire), un album de pho­to­gra­phies en forme de film dans lequel Mar­ker ras­semble plu­sieurs pho­to­gra­phies de ses voyages depuis 1950. Donc, vingt-cinq lettres sont dédiées à Chris Mar­ker à par­tir de ces pho­to­grammes, vingt-cinq pho­to­poèmes.
Une intro­duc­tion concise nous pré­cise une des fonc­tions majeures de la pho­to­gra­phie : le pré­lè­ve­ment du réel, sa mise en abyme, sa coupe sub­jec­tive — en l’occurrence, à par­tir de « 800 pho­to­gra­phies réunies avec beau­coup de jeu ».

Du texte 1 au texte 25, la prose poé­tique de J. Sicard s’ouvre en un kaléi­do­scope aux figures diver­se­ment décou­pées, pris­ma­tiques, for­te­ment colo­rées, où le texte se déploie en forme de lilium ou de nigelle orien­taux.
L’écrivain ana­lyse d’une façon per­son­nelle des frag­ments de l’œuvre de Mar­ker, en pré­lève une essence, un condensé et, rejouant l’expérience fil­mique, à rebours, arrive à « remon­ter la ligne du regard comme un cou­rant de flot remon­te­rait le bras mort d’un fleuve ».

Au fil des pho­to­gra­phies obser­vées, les heures, les endroits, les thèmes changent, le détail d’un détail occupe la vision du lit­té­ra­teur. Des mor­ceaux de l’existence de Mar­ker réap­pa­raissent, comme des rushes oubliés au mon­tage, encore pré­sents, pro­je­tant un éclai­rage nou­veau sur le par­cours du cinéaste, de son enga­ge­ment aux groupes Med­ve­kine, à sa fas­ci­na­tion pour le Japon, sa pas­sion pour les chats et les chouettes.

Jacques Sicard note que Mar­ker est à la pour­suite, à la recherche de fan­tômes, de femmes idéales, se téles­co­pant dans le passé ou le futur, grâce à d’étranges ren­contres télé­pa­thiques. Le décompte des heures pré­cède chaque pro­po­si­tion photo-poétique, entre cap­ture d’écran et ancrage photo-graphique. Sicard part à l’aventure au sein du royaume des défunts pour en rame­ner une prose expres­sion­niste, à par­tir de focales sur images, de signes per­cu­tants, de reflets aux nuances en miroir.
Le récit des­sillé, mis à nu, indique des sauts tem­po­rels de plu­sieurs années en avant ou en arrière et, en cela, est aussi cou­pant que dans la séquence culte de l’œil tran­ché par un cou­teau d’Un chien anda­lou de Luis Buñuel et Sal­va­dor Dalí, dans lequel le regard, mis en scène, oscille entre rêve et réa­lité. Le drame colo­nial nord-africain est éga­le­ment révélé (voire Le Joli Mai de 1963) par « les cris de joie dans le bidon­ville algé­rien de Nan­terre suite aux accords d’Évian ».

Or, dans la post­face rédi­gée par O. G. (?), le cri­tique remarque que « le livre est fait (…) habité, tou­jours (…) de ces figures d’images ». Et, ajouterons-nous, mar­qué par des lieux-épitaphes. Ces Vingt-cinq pho­to­gra­phies de Chris Mar­ker nour­rissent l’imaginaire, à la vitesse des pho­to­grammes, au ralenti ou en accé­léré, « rete­nues parmi un nombre consi­dé­rable (…), cer­taines pré­le­vées « en un zoom avant sur l’une d’elle évo­quée dans une prose où sou­dain le film se rap­pelle ».
Une trace agis­sante de l’écrivain Sicard.

yas­mina mahdi

Jacques Sicard, Vingt-cinq pho­to­gra­phies de Chris Mar­ker, éd. La Barque, 2021 — 13,00 €.

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Filed under cinéma, Essais / Documents / Biographies

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