Pierre Andreani propose ici une allégorie de la création. Le corailleur emprunte quelques traits à Orphée : le message essentiel de la poésie n’est-il pas la nuit de l’être afin d’y trouver le cœur de la vie ? De creuser la nuit afin qu’elle ne nous engloutisse, et ne se referme sur nous ?
Mais dans cet empêchement et un en même temps non macroniste, celles et ceux qui entrent dans ce livre — provocateur et d’une rage nihiliste — pénètrent dans un nouvel Enfer de Dante et abandonnent tout espoir.
Néanmoins, les mots font ce que la vie ne peut pas. Le texte est Jésuve et Vésuve. Il permet de voguer là où la langue et l’existence se plaisent à dérailler. Divers liens se défont dans une belle déroute.
A un tel texte s’annexent pour fermer le banc Neufs sonnets parallèles d’une voix aussi singulière. Ils rameutent des figures mythiques révisées dans la bonne direction : à savoir la dérision sous fausse facture classique.
Mais avant, le monde merveilleux aura subi tout ce qu’il faut d’avanies interprétatives. Et ce, dès les premiers vers où un “Ô gravé, présenté, l’accent,/ hache à coude renversé” se met à tordre les tuyaux du langage, ses délices et ses orgues. Se crée un bric-à-brac ou magasin de curiosité grotesque et effrayant qui engendre le rire. Tout se mêle sans jauge réduite.
Citons — mais qu’entre autres — en un tel rituel : “cadres, savons, poudre de sanitaire, tubules, diacres” dont Andreani devient druide sur son radeau qui méduse de ses désacralisations.
A ceux qui aiment la nourriture poétique classique, la digestion sera difficile. Il y a là des situations limites pour le grand plaisir de ceux qui — à l’inverse - apprécieront l’évocation d’une lascive, qui “s’essuie / les fesses et pend son linge au crochet, / humide vieux torchon, /vieil habit du paternel, /tendre, avec lequel on dort en souvenance”.
L’inceste est alors pas loin et le poète en retient la mécanique.
Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin : “forçant le feu”, il franchit bien des bornes — et pas qu’à demi-mots et maux en une perversion généralisée. Andreani n’en stoppe pas la transmission, Bien au contraire.
La cure est efficiente afin de revenir sur le sens accordé à bien des situations. L’auteur n’en n’est pas dupe et explore des “plaies bien laides”.
Il reste démiurge dans une frénésie qui fait revivre bien des transes, napolitaines ou non. Pour mettre à mal un asthme spirituel, le langage devient électrique — courts-circuits compris. Si bien que le corps en prend pour son grade et se dégrade. Le foie lui même “s’use à bouillir” sous l’effet d’alcool de poire et en un dérèglement généralisé. C’est la fête et la foire. Au nom de l’amour. Mais pas que.
Il n’existe plus de règles mais des dimensions démoniaques. Andreani y pourfend “l’orgueil-maître et la déréliction” en divers bains de sièges. Ils rendent le langage tout sauf innocent, là où bien des “traits” fondent en diverses failles. “Le sens profond ne m’importe plus” écrit le poète : voire.…
Car tout travaille là où le poète a mieux à faire que réfléchir : il vibre pour inverser bien des données acquises. Hormis bien sur la joie. C’est là, la vie telle qu’elle est (ou ça lui ressemble sacrément) : à savoir à l’envers. Et ce, par les opérations (entendons ouvertures) d’un bourreau de lui-même. Et il s’en satisfait. Parions qu’il se serait sans doute contenté de moins.
jean-paul gavard-perret
Pierre Andreani, Hormis la joie suivi de Neufs sonnets parallèles, Avant-dire de Michel Ménaché, Sous le Sceau du Tabellion, Caluire et Cuire, 2021.