Richard Morgiève, Cimetière d’étoiles

Surtout pour son grand final 

Sur le papier, Cime­tière d’étoiles a de quoi allé­cher l’amatrice de polar que je suis: un duo de flics aussi insé­pa­rables que déjan­tés, tor­tu­rés, pour­ris, à côté de la plaque, vio­lents, reve­nus de tout…, un cadavre (en l’occurrence, celui d’un Marine) et une atmo­sphère pois­seuse à sou­hait.
Le fait que cet auteur fran­çais choi­sisse de situer son roman à El Paso, Texas, non loin de la fron­tière mexi­caine, en revanche, plaide moins en sa faveur à mes yeux (quelle est cette manie des auteurs de noir fran­çais de vou­loir abso­lu­ment s’américaniser ?), d’autant que Mor­giève pousse le vice jusqu’à amé­ri­ca­ni­ser aussi sa langue, à coups de tem­pé­ra­tures expri­mées en degrés Fah­ren­heit, de dis­tances don­nées en miles, d’horaires sur le mode « 1PM, 3AM », de mon­tants en bucks, etc.

C’est donc le cœur entre ces deux chaises que j’ai entamé la lec­ture de ce deuxième opus, après le très acclamé Che­ro­kee met­tant en scène les deux mêmes pro­ta­go­nistes, mais que je n’ai pas lu. Vierge de Mor­giève, j’ai décou­vert, assez débous­so­lée, bien­tôt car­ré­ment per­due, son écri­ture sin­gu­lière et sin­gu­liè­re­ment culti­vée.
C’est le chœur du roman, ce style tran­chant, acéré comme une lame, bru­tal et poé­tique à la fois, car soyons hon­nêtes, l’enquête n’avance guère.

Entre alcool, clopes et drogues, les deux aco­lytes ne pro­gressent pas bien vite vers l’élucidation du meurtre. Le lec­teur est emmené en 1963 dans leur Cer­cueil (sur­nom de leur voi­ture), entre deux Lucky (les ciga­rettes qu’ils enchaînent), armés du Tueur et du Troi­sième homme (le petit nom de leurs armes de pré­di­lec­tion), au gré des déam­bu­la­tions des Sacs plas­tique (sur­nom que les habi­tants du cru leur donnent, rap­port à leur méthode d’interrogatoire peu ortho­doxe mais… très effi­cace) à la ren­contre de figures tout aussi pati­bu­laires et hautes en cou­leur – de la Vir­gen con cuer­vos, la Vierge aux cor­beaux, à la Madre Gene­ral, en pas­sant par Burt, le Lama, El Gnomo (un nain armu­rier), Henry le dépiau­teur ou les Aspi­ra­teurs (agents de la CIA, d’où leur sur­nom, puisqu’ils sont à la solde de Hoover)…

Il faut s’accrocher, pour conser­ver un inté­rêt à pour­suivre les péré­gri­na­tions de Drake (« laid à l’extérieur, pourri à l’intérieur », p. 87, une « tête à faire avor­ter une machine à laver », p. 93) et Flet­cher (Rol­lie ou Glen, je vous laisse voir, l’Albinos, « vicieux et cor­rompu, malade comme il l’était », p. 106), les deux « flics véreux, pas chers », « mal­hon­nêtes et reve­nus de tout » (p. 250). Et je dois avouer avoir eu la ten­ta­tion de lâcher le livre quand, arri­vée près de la moi­tié, je ne voyais avan­cer ni l’intrigue ni ma com­pré­hen­sion de son fonc­tion­ne­ment, dans les méandres des cita­tions bibliques de Flet­cher et les réci­ta­tions des géné­riques de films de Drake qui a « une ency­clo­pé­die du cinéma dans la tête, son genre pré­féré : le wes­tern, bien sûr » (p.119), à moins que ce ne soit l’inverse, car ces deux-là se connaissent et se com­plètent si bien qu’au bout du compte, à peu près cent pages avant la fin, ils ont réussi à m’attraper, me happer.

Enfin le texte, tou­jours aussi brut mais un peu moins abs­cons, m’empêche de fer­mer le livre et je découvre le grand final en forme de bou­quet, comme pour un feu d’artifice.
J’ai tenu bon et bien m’en a pris.

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agathe de lastyns

Richard Mor­giève, Cime­tière d’étoiles, Joëlle Lor­feld, décembre 2020, 466 p. – 22,00 €.

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