Sur le papier, Cimetière d’étoiles a de quoi allécher l’amatrice de polar que je suis: un duo de flics aussi inséparables que déjantés, torturés, pourris, à côté de la plaque, violents, revenus de tout…, un cadavre (en l’occurrence, celui d’un Marine) et une atmosphère poisseuse à souhait.
Le fait que cet auteur français choisisse de situer son roman à El Paso, Texas, non loin de la frontière mexicaine, en revanche, plaide moins en sa faveur à mes yeux (quelle est cette manie des auteurs de noir français de vouloir absolument s’américaniser ?), d’autant que Morgiève pousse le vice jusqu’à américaniser aussi sa langue, à coups de températures exprimées en degrés Fahrenheit, de distances données en miles, d’horaires sur le mode « 1PM, 3AM », de montants en bucks, etc.
C’est donc le cœur entre ces deux chaises que j’ai entamé la lecture de ce deuxième opus, après le très acclamé Cherokee mettant en scène les deux mêmes protagonistes, mais que je n’ai pas lu. Vierge de Morgiève, j’ai découvert, assez déboussolée, bientôt carrément perdue, son écriture singulière et singulièrement cultivée.
C’est le chœur du roman, ce style tranchant, acéré comme une lame, brutal et poétique à la fois, car soyons honnêtes, l’enquête n’avance guère.
Entre alcool, clopes et drogues, les deux acolytes ne progressent pas bien vite vers l’élucidation du meurtre. Le lecteur est emmené en 1963 dans leur Cercueil (surnom de leur voiture), entre deux Lucky (les cigarettes qu’ils enchaînent), armés du Tueur et du Troisième homme (le petit nom de leurs armes de prédilection), au gré des déambulations des Sacs plastique (surnom que les habitants du cru leur donnent, rapport à leur méthode d’interrogatoire peu orthodoxe mais… très efficace) à la rencontre de figures tout aussi patibulaires et hautes en couleur – de la Virgen con cuervos, la Vierge aux corbeaux, à la Madre General, en passant par Burt, le Lama, El Gnomo (un nain armurier), Henry le dépiauteur ou les Aspirateurs (agents de la CIA, d’où leur surnom, puisqu’ils sont à la solde de Hoover)…
Il faut s’accrocher, pour conserver un intérêt à poursuivre les pérégrinations de Drake (« laid à l’extérieur, pourri à l’intérieur », p. 87, une « tête à faire avorter une machine à laver », p. 93) et Fletcher (Rollie ou Glen, je vous laisse voir, l’Albinos, « vicieux et corrompu, malade comme il l’était », p. 106), les deux « flics véreux, pas chers », « malhonnêtes et revenus de tout » (p. 250). Et je dois avouer avoir eu la tentation de lâcher le livre quand, arrivée près de la moitié, je ne voyais avancer ni l’intrigue ni ma compréhension de son fonctionnement, dans les méandres des citations bibliques de Fletcher et les récitations des génériques de films de Drake qui a « une encyclopédie du cinéma dans la tête, son genre préféré : le western, bien sûr » (p.119), à moins que ce ne soit l’inverse, car ces deux-là se connaissent et se complètent si bien qu’au bout du compte, à peu près cent pages avant la fin, ils ont réussi à m’attraper, me happer.
Enfin le texte, toujours aussi brut mais un peu moins abscons, m’empêche de fermer le livre et je découvre le grand final en forme de bouquet, comme pour un feu d’artifice.
J’ai tenu bon et bien m’en a pris.
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agathe de lastyns
Richard Morgiève, Cimetière d’étoiles, Joëlle Lorfeld, décembre 2020, 466 p. – 22,00 €.