Nous sommes des couchers de soleil
A partir d’un univers parallèle qui répond à ses propres règles et fantasmagories, Denise Le Dantec rebondit dans un beau livre précieux.
Deux temps fort éloignés s’y conjuguent : celui de l’auteure et de son bel aujourd’hui et celui qui l’inspire : Enheduanna, la belle princesse et poétesse mésopotamienne considérée comme le premier auteur de l’histoire humaine.
Elle a écrit des centaines de poèmes dont ceux dédiées à la déesse Ishtar et qui représentent des hymnes d’amour érotique d’une femme envers une autre femme.
A partir de ce lieu premier, Denise Le Dantec a transformé un domaine de l’éther en un monde plus vernaculaire sans rien y sacrifier.
Par une douceur allusive érotique, l’auteure y parle à plusieurs voix entre un “femme à la robe violette” et celle qui “met du rouge à la lèvre du cosmos” au sein d’un univers végétal énigmatique et prégnant.
Exit le minéral, les réalités botaniques sont décrites sous bien des aspects et elles font le jeu d’une exhaustivité où les fleurs (mais aussi la faune) en jouxtent d’autres dans une poésie toujours discrète.
Ici et en de tels décors, “l’amour n’est pas du corps / mais des corps”. Il sert à faire l’amour partout, partout même sur “les phrases oubliées d’un livre qui se déchire sans bruit de papier”. Tout est léger, subtil, tendre, infiniment intelligent et précieux.
Denise le Dantec comprend et vit parfaitement les horizons de l’éros mais tout est dit comme en suspension, selon une lumière qui se refuse à être un simple éclairage.
Cela fait penser parfois à Paul Celan en ce livre qui devient néanmoins plus nuée que brouillard par un jeu complexe de montages afin que l’amour “joue”.
Une citation résume un tel voyage au sein des mots et pour que, d’une certaine manière, ils se fondent dans l’extase : “Nous n’appartenons pas à la culture / Nous sommes des couchers de soleil”.
jean-paul gavard-perret
Denise Le Dantec, Enheduanna, la femme qui mange les mots, Atelier de l’Agneau, 2021, 32 p. — 20,00 €.
Magnifique comme les couchers de soleil dont JPGP sait si bien mettre les bonnes couleurs pour éblouir les lecteurs de ses chroniques.