Catherine Bardon & Winoc, Les Déracinés

Repar­tir à zéro…

Les Déra­ci­nés décrit l’origine puis le périple d’un couple, et de leurs enfants, sur les che­mins de l’exil, vers un pays qui vou­dra bien les accueillir. Le scé­na­rio est l’œuvre de Cathe­rine Bar­don qui est éga­le­ment l’auteure du livre épo­nyme paru en 2018 aux édi­tions Les Escales. Elle a sou­haité, comme un défi, adap­ter son roman de quelques 624 pages pour le syn­thé­ti­ser en un album de 110 planches. Certes, la BD auto­rise l’impasse sur les des­crip­tions des lieux, des inté­rieurs, des per­son­nages.
Mais, il reste le par­cours des pro­ta­go­nistes, les doutes, les incom­pré­hen­sions. Com­ment admettre que le passé, qui a été une phase d’intégration comme la par­ti­ci­pa­tion en tant que com­bat­tant lors de la Grande Guerre, soit remis en cause ? Et c’est la peur, l’angoisse du len­de­main, les inter­ro­ga­tions sur un deve­nir tant pour les adultes que pour les enfants, cette quête vers un futur meilleur. Ce sont des désar­rois racon­tés avec jus­tesse, les émo­tions que la scé­na­riste relate à l’arrivée dans un pays d’accueil, la force néces­saire pour repar­tir de zéro et construire quelque chose de durable.

À Vienne, en 1935, dans le quar­tier chic de Hiet­zing, la famille Kahn célèbre le mariage de Wil­helm et Almah. L’ambiance joyeuse est quelque peu plom­bée par la situa­tion poli­tique. Wil est jour­na­liste, un métier à haut risque dans le contexte mena­çant.
La lune de miel se déroule au mieux dans un Gas­thof au bord du lac de Neu­siedl, même s’ils sont accueillis par l’hôtesse qui demande si leur nom est juif.
De retour à Vienne, ils sont témoins de la pro­gres­sion des pro­pos hai­neux à l’encontre de ceux de leur race, d’actes anti­sé­mites. Face aux exac­tions de plus en plus fré­quentes, aux nom­breux départs, tant dans leur famille que chez les amis et rela­tions, ils hésitent. C’est le sui­cide des parents d’Almah et une arres­ta­tion par la Ges­tapo qui va enclen­cher le pro­ces­sus. Mais où par­tir ? Les USA ont limité les visas, d’autres pays font la sourde oreille à leur demande. Pour­tant, ils s’engagent sur le che­min de l’exil, déci­dés à ten­ter de bâtir, ailleurs, un avenir…

Le gra­phisme se par­tage entre Winoc pour le des­sin et Sébas­tien Bouët pour la mise en cou­leurs. Le pre­mier pro­pose un des­sin réa­liste, aux trait légers, à la construc­tion aérienne, avec une pro­pen­sion à mettre les per­son­nages en valeur, leurs sen­ti­ments, leurs émo­tions. Il place, autour d’eux, des décors suf­fi­sam­ment expli­cites pour sai­sir la scène dans son ensemble.
Les teintes douces, les cou­leurs choi­sies avec soin pour res­ti­tuer celles cou­ram­ment vues à l’époque, les à-plats posés de façon déli­cate, mettent en valeur les actions, que celles-ci soient intimes ou brutales.

Le choix des Déra­ci­nés pour le troi­sième titre du cata­logue de phi­léas, cette toute jeune mai­son d’édition, montre la volonté d’ouvrir sur une large gamme avec des albums de haute qua­lité.
Après deux adap­ta­tions de romans poli­ciers, et quels poli­ciers !, ce nou­veau titre sur un fait de l’Histoire récente démontre un éclec­tisme qui ne peut qu’être séduisant.

serge per­raud

Cathe­rine Bar­don (scé­na­rio d’après son roman épo­nyme), Winoc (des­sin) & Sébas­tien Bouët (cou­leur), Les Déra­ci­nés, phi­léas, jan­vier 2021, 112 p. – 18,90 €.

Leave a Comment

Filed under Bande dessinée

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>