Eric Clémens se demande comment contre-injecter dans la société l’expérience de poésie et de la fiction. Et le choix de ne faire que le poète ou le littérateur reste insoutenable. Qu’importent les étoilements des plans, les variations des focales, les trouées saugrenues et rythmes des sutures. En multipliant les tentatives de nomination savante et les départs avortés de fiction, rien néanmoins ne change.
Dès lors, il faut plutôt aller où ces savoirs a priori ne font pas loi et laissent le non-savoir ouvrir la pensée. Mais pas n’importe comment : d’autant qu’entre les pratiques réelles d’écriture et leurs tonitruantes déclarations de radicalité un “gap” résiste par paresse, ruse ou inconscience.
Preuve qu’Éric Clémens est un philosophe et poète exigeant pour lui-même comme pour celles et ceux qui le lisent en refusant les filets de sécurité pour affronter des parts d’ombres. Son oeuvre permet d’entrer dans une pensée qui ne cesse de renaître, de revenir sur ce qui la fonde depuis la fin des années 1960.
L’auteur ouvre des perspectives inattendues en confrontant son écriture au politique, à la philosophe et la science, comme au littéraire, à l’art, et la psychanalyse dans l’attrait pour la langue et les langages.
TeXTes, 1970–2019 est une anthologie qui reprend des articles, poèmes, etc., parus, de 1970 à 2019, dans TXT, la revue co-fondée avec Christian Prigent et Jean-Pierre Verheggen. “Le fictionnel et le fictif” propose des réflexions sur le rapport, complexe entre réel et langue, la réalité et la fiction. Wilde, Derrida, Platon, Socrate, Lacan, Prigent, Deguy, Kant, Husserl, Godard, Rimbaud, Nancy deviennent des butoirs, qui permettent à Clémens de prouver que le mot ou le concept juste ne sera toujours que juste un mot ou un concept.
Dès lors, l’auteur se plaît à s’opposer aux dualismes sommaires : réalisme et fiction, réel et imaginaire, corps et esprit, intuition et raison. Clémens les dépasse parce que demeurent toujours deux présences : l’entièreté des faits, des événements et la réalité et les mondes inventés dans et par la langue et issus de la capacité humaine à rythmer le langage et se laisser entraîner par lui par les mots ou les images — car le filmique fait partie du tout.
Mais passer d’un monde déjà vu, déjà dit ou donné, à un monde inconnu, inouï ne va pas de soi. Néanmoins, les sommations du monde ne doivent pas couper la chique aux créateurs et les faire tomber dans “la macération désœuvrée” (Prigent) ou le “désoeuvrement” (Blanchot) ou pire encore dans l’apitoiement narcissique, les désirs ramollos voire le silence.
Haro aux délicatesses et place à l’incompréhensible pour lui faire cracher son magma.
jean-paul gavard-perret
Éric Clémens,
- TeXTes, 1970–2019, anthologie composée par Dominique Costermans et Christian Prigent, CEP, 2020 — 15,00 €.,
– Le fictionnel et le fictif. Essai sur le réel et sur les mondes, CEP, 2020 — 15,00 €.
Qui n’a jamais lu , vu , entendu Christian Prigent .. ne sait pas ce qu’est le talent filmique dans une poésie imaginative inouïe et infinie . JPGP a tout compris .
Addenda depuis Wikipédia . Ne pas oublier l’auteur Eric Clémens !
La question du langage et de son surgissement dans le réel — réel et langage recelant la double énigme à laquelle se heurte l’être humain -, a orienté les recherches d’Eric Clémens. Il a développé une pensée et une pratique de la fiction qui se comprennent depuis la distinction qu’il opère du fictionnel et du fictif. Loin de s’opposer au réel, le fictionnel y introduit une transformation .Marqué par le langage, l’être humain est pris dans une différence irréductible — la différence entre phénomène et langage, que Clémens appelle la « différence phénoménologique » — qui entraîne un façonnement de sa relation au réel dont les fragments transformés engendrent un monde (une réalité). Ce façonnement d’un accès aux phénomènes par un langage — aussi bien verbal que gestuel, affectif, technique, musical, etc. — constitue le « fictionnel ».