Arnaldur Indridason, La Pierre du remords

Un polar humaniste

Konrad, dont on découvre la troi­sième enquête après Ce que savait la nuit et Les Fan­tômes de Reyk­ja­vik (Métai­lié — 2019, 2020) est un poli­cier retraité, veuf depuis quelques années. Il a acquis une cer­taine célé­brité en résol­vant une affaire de meurtre vieille de trois décen­nies.
En pré­am­bule, dans dif­fé­rents appar­te­ments, ce sont quelques ins­tants de vie sur­pris à un ins­tant pré­cis. Dans l’un d’entre eux, une femme ouvre sa porte à un homme. Il se jette sur elle et, quelques ins­tants plus tard, par­court fié­vreu­se­ment les lieux.

C’est parce qu’un cor­res­pon­dant ano­nyme a pré­venu la police que Marta est dans l’appartement sac­cagé d’une femme morte asphyxiée avec un sac plas­tique. En foui­nant, elle trouve un numéro de télé­phone fami­lier, celui de Kon­rad, qu’elle appelle immé­dia­te­ment.
Celui-ci met quelques temps à se sou­ve­nir que Val­borg, cette dame, l’avait contacté, ren­con­tré pour qu’il retrouve son enfant aban­donné à la nais­sance, il y a… quarante-sept ans. Il avait refusé de l’aider ne voyant pas com­ment il pou­vait mener une enquête sur une affaire si ancienne avec si peu d’éléments.
De plus, il est pré­oc­cupé par son affaire per­son­nelle, élu­ci­der la mort de son père, pour laquelle il retrouve régu­liè­re­ment Eyglo. Celle-ci est la fille de l’associé de son père avec qui, sous cou­vert de spi­ri­tisme, ils escro­quaient des femmes. Elle pos­sède des sen­si­bi­li­tés dans ce domaine.
La mort de Val­borg et son refus de l’aider mettent Kon­rad mal à l’aise. Son assas­si­nat est peut-être en lien avec la recherche de son enfant. Il se lance tout en conti­nuant ses inves­ti­ga­tions rela­tives au meurtre de son père, un escroc notoire tué devant les abat­toirs de Reyk­ja­vik de deux coups de cou­teau.
Ce qu’il découvre, en sou­le­vant peu à peu le voile sur ces évé­ne­ments ne révèle pas de belles situations…

Si les mani­gances, les escro­que­ries de son père l’ont tou­jours affecté, Kon­rad ne cherche que depuis peu à élu­ci­der son assas­si­nat et retrou­ver le meur­trier. Les pistes sont peu nom­breuses mais sur­tout très refroi­dies. Tou­te­fois, il sub­siste un témoin, la femme qui a décou­vert le corps.
Le roman­cier appré­cie par­ti­cu­liè­re­ment ces recherches sur des faits anciens qui offrent l’occasion de retra­cer un passé récent du pays, de faire revivre des situa­tions quelque peu oubliées, de retrou­ver des racines. Il pri­vi­lé­gie cer­taines couches sociales, les gens du peuple, les ordi­naires, les ano­nymes qu’il met en valeur de belle manière.
Et sur les pas de son ex-policier, il ne se prive pas de le faire évo­luer dans de tels milieux. C’est pas­sion­nant et édi­fiant de suivre ses décou­vertes, l’environnement du spi­ri­tisme entre ceux qui pos­sèdent un cer­tain talent et ceux qui surfent sur la cré­du­lité, sur la dou­leur du deuil. Et il implique for­te­ment son héros en lui attri­buant un père escroc. Il révèle éga­le­ment ces grou­pus­cules reli­gieux, à la limite de la secte, qui militent de façon active à… détruire la vie des gens en refu­sant, par exemple, l’avortement. Il pose aussi un regard sur le silence qui entoure les secrets de famille, ces secrets que tous les proches connaissent plus ou moins, mais qu’ils se gardent bien de dénoncer.

À tra­vers ses inves­ti­ga­tions qui sont autant de quêtes de sang, il donne un récit impi­toyable sur la honte, le déses­poir et la dureté des remords lorsque ceux-ci viennent han­ter une exis­tence.
Avec ce nou­veau roman, pro­fon­dé­ment humain, Arnal­dur Indri­da­son explore une fois encore une face sombre de la société islan­daise, un micro­cosme reflé­tant ce qui se passe à plus grande échelle dans des pays plus peu­plés. Il pro­pose une belle intrigue avec tout un jeu de faux-semblants, de dénis, un magni­fique puzzle dont tous les élé­ments trouvent leur place de façon tout à fait natu­relle jusqu’à une conclu­sion étonnante.

serge per­raud

Arnal­dur Indri­da­son, La Pierre du remords (Tre­ga­steinn), tra­duit de l’islandais par Éric Boury, Métai­lié, coll. “Noir”, février 2021, ‚352 p. — 21,50 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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