Même les secrets les plus noirs…
L’addiction à l’alcool est un des fléaux qui touche toutes les populations quels que soient le pays, les lieux de vie. L’imagination pour fabriquer des boissons alcoolisées est sans limites. Et arrêter de boire demande une volonté inflexible, une motivation puissante.
C’est autour d’une héroïne en situation de sevrage que Lesley Kara construit son thriller.
Elle utilise également le fait que des actes commis sous l’emprise d’une forte dose restent ignorés, perdus par la mémoire. C’est dans un tel contexte qu’elle place Astrid.
De plus, bien que celle-ci n’ait pas bu de sa drogue favorite depuis plusieurs mois, elle en ressent toujours le besoin, un besoin puissant. Il faut alors occuper le corps et l’esprit pour faire passer la crise.
Depuis deux semaines, Astrid a trouvé refuge chez sa mère à Flinstead, une petite station balnéaire sur la mer du Nord. Il y a cinq mois, elle s’est retrouvée à l’hôpital et transférée en cure de désintoxication. Depuis, elle doit se battre sur deux fronts, ne pas retoucher une goutte d’alcool et la terreur du retour de Simon. Elle l’a rencontré il y a quelques années dans un pub, la rencontre de deux ivrognes.
Pour lutter contre l’addiction, elle sort, elle marche, elle tente de s’occuper. C’est ainsi qu’elle échange quelques mots avec un homme en combinaison de plongée qu’elle voit sur la plage depuis deux semaines. Il lui donne rendez-vous dans un pub.
En repartant, comme la veille, il lui semble sentir le parfum de l’after-shave de Simon. Mais, comme hier, il n’y a personne alentour qui lui ressemble. Et c’est impossible qu’il l’ait retrouvée.
Puis ce sont les réunions aux Alcooliques Anonymes, la rencontre avec Josh qui lui parle de la maison récemment acquise par son père, de l’aide qu’il lui apporte, entre deux jobs, pour la restauration et d’une petite pièce au centre. Dans un temps ancien, Astrid était scénographe avant que l’alcool balaie tout. Cette pièce à décorer réveille des réflexes de son métier et elle propose de travailler sur un projet.
Et toujours ce sentiment d’être espionnée, suivie, la sensation d’une menace jusqu’au jour où elle trouve, sous le porche de la maison de sa mère, dans une enveloppe, une photo de Simon avec, au dos, une main ensanglantée de femme.
Qui peut savoir ce qui s’est passé ? Qui le sait ? Où se dissimule-t-il ?
La romancière décrit avec une belle justesse les difficultés à se réinsérer dans une autre existence d’autant que la vie précédente semble vouloir la rattraper. Elle confronte Astrid à deux états psychologiques opposés, entre un réapprentissage de la vie initié par une rencontre bénéfique et une angoisse permanente entretenue par la menace diffuse de retrouver le passé.
La pression monte par petites touches glissées de façon presque innocente dans une phrase. La succession de certains chapitres est entrecoupée de courts paragraphes au contenu très menaçants, émanant de quelqu’un qui la regarde et qui imagine comment lui faire très mal.
Lesley Kara détaille de manière remarquable les états de manque, la recherche éperdue de points d’ancrage, les difficultés à évoquer l’addiction, le passé d’ivrogne, les relations avec des proches, avec sa mère.
Qui le sait ? met en scène un thriller psychologique fascinant avec une héroïne fragile, vulnérable, angoissée, au passé douloureux, rongée par un besoin d’alcool, essayant malgré tout de reprendre pied dans une nouvelle existence.
À lire sans modération !
serge perraud
Lesley Kara, Qui le sait ? (Who Did You Tell ?), traduit de l’anglais par Clara Gourgon, Les Escales, coll. “Noires”, janvier 2021, 384 p. – 21,90 €.