Georges de Rivas, La Beauté Eurydice

Les amants de l’illumination

Sur les pas de Sha­kes­peare, de Dante, s’inscrit La Beauté Eury­dice de Georges de Rivas, un recueil imprimé sur papier pailleté de reflets ada­man­tins aux édi­tions Alcyone, dont les vastes éclo­sions de vers mêlent une den­sité de rythmes élan­cés et de sono­ri­tés – qu’induit par­ti­cu­liè­re­ment une foi­son­nance rare de rimes inté­rieures, d’allitérations et d’assonances — à un cer­tain sens de l’immensité.
Si pour Georges de Rivas l’horizon de la poé­sie est infini mys­té­rique, il est aussi innom­brable pos­si­bi­lité de trou­ver et d’aimer. Pui­sant en des réfé­rences mytho­lo­giques, bibliques, cos­mo­po­lites et d’une esthé­tique pure – cepen­dant, et je le sou­ligne, jamais dénuée de reflets de signi­fi­ca­tion, de sym­bo­lique –, le poète devient le génial inter­prète de la Source spi­ri­tuelle dont il nous amène au cœur. La Quête et sa réponse sont omni­pré­sentes, sous les traits de deux amants :

Orphée, le Voyant, laisse trans­pa­raître le poète lui-même, avec la véra­cité de son expé­rience mys­té­rique. « Et l’ode que je chan­tais ne fut jamais révé­lée à l’oreille d’un mor­tel ayant perdu mémoire des songes de l’au-delà ».

La méta­phore des oiseaux sou­ligne la néces­sité d’un éveil pro­pice à l’illumination : « Mais j’ai vu mou­rir des oiseaux épui­sés aux rives du fleuve-oubli » / « Or j’ai vu voler des oiseaux d’or sur des aubes cha­toyantes peintes / par le sang des mar­tyres et leurs âmes répan­dues en cou­leurs inouïes / chan­taient autour d’une chau­mière d’Inuits visi­tée d’aurore boréale »

Cette deuxième caté­go­rie d’oiseaux – que l’on peut asso­cier aux esprits – est tein­tée d’or, le sym­bole de la divi­nité révé­lée. S’adressant aux esprits qui pour­raient le suivre dans le pèle­ri­nage ailé de sa pas­sion, le Voyant, par son ode, nous mène direc­te­ment à la ren­contre d’Eurydice, ou plu­tôt, de la Poé­sie divine per­son­ni­fiée.
La splen­deur que revêt celle-ci à son appa­ri­tion est fidèle à ce qu’elle repré­sente : « Je t’ai vue ô mon oasis Eury­dice nim­bée d’or et à la voix d’oaristys » // « Or voici que tu t’es endor­mie aux rives du futur / et demeures rêvant parmi les limbes au miracle / Muse de neige et d’un cor­tège d’augures / et mon cœur a suivi cette route pavée d’oracles »

Eury­dice sur­git dra­pée d’une esthé­tique sacrée pré­misse de « miracle », elle est un astre dont les facettes de « Lumière-Amour » sont infi­nies. Elle est « muse auréo­lée du sou­ve­nir du divin séjour », « Beauté du lotus neigé par l’Éther », « Telle en son essence de ciel infuse au ber­ceau des astres ». Contem­plons plus pré­ci­sé­ment la révé­la­tion éblouis­sante de ces deux vers : « Tu passes, Femme-étincelle à une encre céleste amar­rée / et déploie ton corps dans les essences de lavande vio­line ».

Au-delà de la beauté néphé­li­bate des vers est ren­fer­mée l’essence sym­bo­lique des mots, pro­pice à l’élévation : la lavande, qui charme par son arôme et sa cou­leur vio­line, nuance déli­cate du vio­let évo­quant spi­ri­tua­lité et médi­ta­tion, dévoile la pureté et la ten­dresse d’Eurydice. La « Femme-étincelle », qui embrase la pas­sion, demeure « à une ancre céleste amar­rée », ses bras ne pour­raient être retrou­vés qu’au cœur d’un foyer céleste, duquel elle semble, par ses appa­ri­tions d’entre les brumes de l’Inconnu, l’hôtesse.
La décou­verte d’Eurydice est orches­trée cres­cendo par une suc­ces­sion de ses facettes essen­tielles. En conclu­sion, Orphée dira d’ailleurs « Je ne puis me pas­ser d’Elle » prou­vant que la fan­tai­sie de sa fer­veur naît d’une pul­sion existentielle.

À la dou­ceur de l’apparition sur­na­tu­relle d’Eurydice suc­cède sa vision sous l’angle du désir d’éveil, sug­géré par cette image : « lotus et luth vibrant de beauté inouïe ! » Par-delà les sono­ri­tés et la vibra­tion évo­ca­trices, nous avons l’image du luth, dont Claude du Ver­dier a dit en 1585 : « La volupté pri­sée par-dessus toutes est celle / qui vient du luth, car l’oreille et l’esprit / conten­ter elle peut »
Il n’y aura pas de volupté plus haute à accom­plir pour le désir que celle de « la seule plante levée au-dessus des eaux boueuses / et éblouis­sante, sor­tie du fleuve insom­nieux de la nuit ».

La dryade Eury­dice est Union-Absence : «  Je suis habité par ta pré­sence, ori­flamme de l’Absence / tu es l’autel à sa divine flamme où s’allume mon âme ». Elle est ainsi évo­quée de manière para­doxale : « abîme et cime de l’Être » et bien que décrite prin­ci­pa­le­ment sous les traits de la lumière elle paraît au der­nier para­graphe en « Ombre imma­cu­lée ».
Enfin, alors qu’elle repré­sente la source de poé­sie et son ins­pi­ra­tion, il est aussi dit que ses « lèvres (sont) closes, cou­sues au fil d’or du pro­fond silence. Éter­nelle pré­sence et manque le plus élevé et le plus pro­fond que le poète peut éprou­ver, la méta­phore Eury­dice est à l’image de Dieu.

Elle appa­raît alors sous les traits d’une Quête mys­tique : « Je t’ai per­due deux fois dans les gouffres de l’Enfer et au Retour / tenant ta main, à l’orée du jour où mor­do­rait la lumière d’Or ! / Or je t’appelle encore au-delà de la nuit du corps et de l’âme ».
Si la « nuit du corps » sug­gère les limites de l’incarnation, la nuit de l’âme quant à elle évo­que­rait l’épreuve des grands mys­tiques, le tun­nel à tra­ver­ser avant une Union totale. Le poète devra sur­plom­ber et trans­cen­der « la nuit du corps et de l’âme » autre­ment dit lui-même, par sa recherche sincère.

Car Eury­dice est en conclu­sion « la porte du ciel », dont le poète nous offre la révé­la­tion, ou du moins ses vastes reflets, trans­cen­dant la mytho­lo­gie par un mys­ti­cisme uni­ver­sel, réel, actuel.
Et l’on peut se deman­der, lorsque la voix d’Orphée se fait plus per­son­nelle :  « Muse où se reflète la Femme que j’aime », si le poète ne pour­suit pas, à l’instar de Dante au Para­dis de La Divine Comé­die, en Eury­dice, la pré­sence céleste et trans­fi­gu­rée de la femme aimée, nous offrant l’éclat d’un duende à l’orée des contrées célestes.

écou­ter un extrait du poème dit par Sil­vaine Arabo

marine rose

Georges de Rivas, La Beauté Eury­dice, édi­tions Alcyone, coll. Surya, 2019 — 19,00 €.

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