Ozu demeure un des plus grands cinéastes de l’histoire du 7ème art. Après la guerre, son style mûrit jusqu’à parvenir au dépouillement total.
De 1949 à 1963, il réalise treize films. Tous témoignent de son génie de la nuance, de l’incroyable assurance de son tempo narratif en particulier dans Voyage à Tokyo considéré comme son chef-d’œuvre.
Ses films sont remarquables parce que formidablement épurés. Le réalisateur y choisit le plan moyen fixe. Mais avec une particularité : sa caméra est placée généralement très bas, presque au ras du sol. Les rares gros plans ou mouvements de caméra sont très subtils et, grâce à de magnifiques plans de coupe, ils donnent à la mise en scène une respiration et une dimension particulières.
Existe dans ces choix un sens incomparable de l’espace et de la présence humaine qui ne sera pas sans influencer un cinéaste comme Antonioni.
Bref, le cinéaste a su creuser des formes narratives contre le récit. Et l’apparent statisme de l’œuvre cache de fait une dynamique fondée sur le mouvement successif et répété des personnages. Il produit le sentiment du cours absolu du temps et de sa perte.
En imaginant une écriture dramatique, autre qu’une dramaturgie classique, Ozu a conçu des films qui regardent leurs spectateurs autant que les spectateurs les regardent un peu comme cela se passe dans notre existence : ce que nous en comprenons, c’est en en percevant l’absence, bref lorsqu’il est trop tard.
Face à son oeuvre, son journal reste largement anecdotique. Ozu le commence au milieu de sa vie, le 1er janvier 1933, quand son parcours n’est pas à son zénith car la plupart lui tourne le dos. A partir de là, ses carnets ne donnent pas forcément accès à l’intimité intérieure du cinéaste même s’il parle de tout, évoque l’actualité, la littérature, les poètes, écrivains et peintres amis.
Ozu est attentif aux saisons, aux nourritures, à la nature, tout autant qu’il l’est aux objets divers et variés importés avec l’ouverture du Japon aux influences étrangères. Il passe de l’énumération au récit, des haïkus aux simples notes. Tout reste souvent répétitif même si se ressent son goût autant pour le réel que pour les variations primesautières qui le rend fluctuant.
Mais l’ensemble reste décevant et tient d’une “marginaglia” très secondaire. Pour preuve : ” Il a plu jusqu’à l’aube. Des nuages. Sieste. Relecture de la structure du récit élaboré hier, puis bain. Yamanouchi Shizuo est passé. Bain. Dès de poulet cru au gingembre et saké. On a bu des bières ensuite, et le sommeil n’a pas tardé à nous surprendre.“
Et de telles notations ne cessent de se succéder. Les afficionados pourront estimer que de tels petits rien sont tout. Voire…
Et il y a loin — trop peut-être — entre son oeuvre cinématographique et de tels reliquats biographiques sur lesquels chacun peut se contenter de faire l’impasse.
Le sens de l’observation dont Ozu fait parfois preuve dans sa pratique du journal n’est rien par rapport à son génie de cinéaste auquel il faut faire retour — grâce entre autres aux DVD que le même éditeur Carlotta a superbement édité il y a quelques années.
jean-paul gavard-perret
Yasujiro Ozu, Carnets 1933–1963, édition intégrale, traduction et notes de Josiane Pinon-Kawataké, Carlotta, 2020, 1276 p. –50,00 €.
L’oeuvre cinématographique est publiée chez le même éditeur.