Un véritable bijou littéraire !
Lorsque Mr. Jones, de la Ferme du manoir, se couche, passablement ivre, Maréchal, un vieux cochon, réunit les animaux pour leur faire part de son rêve de la nuit dernière. Avant, il évoque leur vie misérable et désigne l’Homme comme le responsable de tous leurs maux. Il leur enjoint de travailler jour et nuit au renversement de la race humaine par le Soulèvement.
Puis, il donne les paroles d’une chanson que sa mère fredonnait quand il n’était que porcelet, portant le titre de Bêtes d’Angleterre.
Trois nuits plus tard, Maréchal s’éteint. Mais son discours trotte dans les têtes. Deux cochons, deux jeunes verrats, Boule-de-Neige et Napoléon, élaborent un nouveau système philosophique : l’Animalisme, qui va être un outil du Soulèvement. Les mauvaises affaires de Mr. Jones font péricliter la ferme. C’est la faim qui pousse les animaux à la révolte. Ils chassent tous les humains et se retrouvent maîtres des lieux. Ils détruisent tout ce qui est en rapport avec l’homme, sauf l’habitation de Mr. et Mrs. Jones.
Ils rebaptisent la Ferme du Manoir en Ferme des animaux. Ils inscrivent sur un mur les sept commandements établis au terme de trois mois d’études dont le fameux : Tous les animaux sont égaux. Mais le concept tourne court dès que le lait des vaches disparaît plutôt qu’être distribué…
Ce conte est un véritable bijou littéraire, un texte à l’humour très noir où perce l’ironie, le sarcasme voire un certain cynisme quant à la notion d’égalité entre les hommes. La trame de cette fable se transpose dans tous les régimes dictatoriaux, ceux qui sévissaient à l’époque de son écriture comme le stalinisme, le nazisme, le fascisme… Il s’applique de la même manière aujourd’hui et reste très actuel sur la planète Terre.
Il suffit, dans une moindre mesure, de voir comment se comportent des élus, soi-disant représentant la population, des individus qui accèdent à des postes de « responsabilités », comment ils sont peu respectueux de l’argent des contribuables. Mais une question fondamentale reste sans réponse : comment des peuples peuvent-ils se laisser abuser au point d’élire des clowns et je prie les véritables clowns, ces merveilleux amuseurs, d’excuser l’usage de ce terme pour des sinistres individus tels que Trump, Bolsonaro…
Orwell a écrit cette fable en pensant à la dictature de Staline, dictature qu’il était interdit de critiquer au prétexte que l’URSS était un allié dans la guerre contre le nazisme. Il emprunte au tyran sa façon d’être pour la transposer en Napoléon, et reprend, dans son récit, des faits authentiques tels que les beuveries, les procès de 1937–1938, les exécutions, les données économiques totalement farfelues données au peuple. Il faut se régaler des arguties employées pour faire admettre les décisions les plus injustes. On retrouve, ainsi, les encouragements à se serrer la ceinture quand Napoléon énonce : “Le seul vrai bonheur réside dans un labeur opiniâtre et une vie frugale.”
George Orwell explique dans un courrier de décembre 1946 l’état d’esprit qui l’animait lors de l’écriture : “Bien sûr, j’ai conçu ce livre en premier lieu comme une satire de la révolution russe. Mais, dans mon esprit, il y avait une application plus large dans la mesure où je voulais montrer que cette sorte de révolution (une révolution violente menée comme une conspiration par des gens qui n’ont pas conscience d’être affamés de pouvoir) ne peut conduire qu’à un changement de maîtres. La morale, selon moi, est que les révolutions n’engendrent une amélioration radicale que si les masses sont vigilantes et savent comment virer leurs chefs dès que ceux-ci ont fait leur boulot… Vous ne pouvez pas avoir une révolution si vous ne la faites pas pour votre propre compte ; une dictature bienveillante, ça n’existe pas.”
C’est un régal de parcourir ces pages, une lecture qu’il faut recommander encore et encore.
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serge perraud
George Orwell, La Ferme des animaux (Aminal Farm), nouvelle traduction de l’anglais par Philippe Jaworski, Folio n° 1516, janvier 2021, 176 p. – 4,50 €.