Prêts à tout pour atteindre leur rêve
Dans la Zone, autour d’Eugénie et de son grand-père, gravitent Constantin, Lucien et Tibor, un colosse ancien dompteur. Ce petit groupe survit de menus larcins et de filouteries. Cependant, il a un but commun, réaliser le rêve de la petite fille, reconstruire L’oiseau Rare, le cabaret où ses parents ont trouvé la mort quand il a été détruit par les flammes.
Son grand-père, avant de mourir, a offert deux places de théâtre à Eugénie pour qu’elle voit son idole, la grande Sarah Bernhard. En sortant, elle improvise une scène d’Hamlet impressionnant ceux qui l’écoutent. L’actrice qui survient, la rabaisse mais l’embauchera si elle est capable de réciter le long monologue de Figaro…
Tibor sort de la prison où il était incarcéré, accusé d’avoir volé les animaux d’un cirque.
Eugénie, bien décidée à relever le défi est à la sortie du théâtre. Sarah la reconnaît et, après quelques vers lui donne rendez-vous.
Constantin, dans un café, fait des tours de cartes qui impressionnent son voisin. Son frère arrive, catastrophé. La partie prévue, où il y avait beaucoup d’argent à se faire, est annulée par la défection d’un joueur…
Lorsqu’Eugénie se présente, elle est embauchée comme… domestique.
Constantin et son voisin de table font équipe et écument les salles de jeu. D’étranges manigances se mettent en place…
Ce diptyque raconte la poursuite d’un rêve et l’enchaînement des actions pour tenter de le réaliser. Il a d’abord pour cadre la Zone, ce bidonville parisien où ont trouvé refuge les gens du peuple chassés par la spéculation immobilière due à la restructuration de la ville par Haussmann. Puis, ce sont les hôtels particuliers des quartiers huppés, le petit palais où vivait Sarah Bernhard au sommet de sa gloire. Celle-ci a régné pendant des décennies sur le répertoire classique. Elle préfigure ces vedettes internationales, faisant des tournées triomphales sur tous les continents.
Si l’on prête à Alexandre Dumas cette description à ses débuts : “Une éponge sur un manche à balai”, Jean Cocteau inventera pour elle l’expression de “monstre sacré”. Mais les scénaristes montrent surtout la femme qu’elle était, une personne particulièrement autoritaire, voire tyrannique, méprisante, privilégiant un affreux roquet servi comme un prince.
Les auteurs tissent une belle intrigue autour de ces deux femmes, la petite Eugénie et la grande Sarah, une intrigue aux ressorts sophistiqués mettant en scène des sentiments inattendus. Le récit est mené avec brio et adresse jusqu’à une chute brillante dans tous les sens du terme.
C’est à Éric Stalner que l’on doit le dessin. Que dire de l’œuvre de ce créateur hors-pair ? C’est toujours aussi beau, aussi réaliste, détaillé tant pour la magnifique galerie des protagonistes que pour les décors. Le talent d’Éric Stalner est intact et c’est toujours un régal pour les yeux que parcourir ses planches.
Portée par Florence Fantini, la mise en couleurs se hisse à la hauteur du dessin. Elle restitue les teintes en usage à l’époque où les couleurs vives étaient peu courantes et surtout pas accessibles aux gens du peuple. Elle fait vibrer l’ambiance des lieux et de l’époque.
L’oiseau Rare est un diptyque que l’on a grand plaisir à découvrir tant l’histoire est intrigante et inattendue, avec un graphisme à la hauteur du sujet.
lire un extrait
serge perraud
Cédric Simon (scénario), Éric Stalner (scénario et dessins), Florence Fantini (couleurs), L’oiseau Rare – t.02 : La grande Sarah, Bamboo, coll. “Grand Angle”, janvier 2021, 64 p. – 14,90 €.