Aucune sortie possible sinon dans la mort
Le roman de Gianfranco Calligarich est l’histoire du désenchantement lugubre d’une jeunesse à l’ombre des palais de Rome. Cette fiction que Garzanti avait publié à l’origine en 1973 a été redécouverte par l’éditeur turinois Aragno. Il avait remporté à l’époque le prix « The Unpublished » soutenu par des critiques enthousiastes de Natalia Ginzburg et Cesare Garboli.
Mais Gianfranco Calligarich s’était détaché de cette publication eu égard à sa vie car il s’intéressait à bien autre chose : il créa plusieurs scripts pour la Rai avant de fonder, à la Fontanone del Gianicolo, le Théâtre XX Secolo.
Cette fiction est un roman de formation. Mais avec le temps il est devenu un histoire plus générale, désenchantée voire amère et désespérée entre deux univers qui cohabitèrent dans les années 70 : d’un côté la « Dolce vita », de l’autre colère et la violence de l’histoire italienne de l’époque.
Calligarich s’est voulu apatride et s’est retrouvé dans une sorte de « no man’s land ». Et le natif d’Asmara construit son personnage — Leo — comme un personnage de roman policier mais issu d’une de ces familles mélancolique fidèles à leur devoir.
Toutefois, le héros quitte le nord pour Rome qui lui paraît un havre de liberté et semble l’accueillir dans son été infini, ses salons, ses filles, ses jours d’or où seule l’idée d’avoir à travailler demeure une hypothèse improbable. Mais Léo n’est pas Marcello de la “Dolce Vita”. Il ressemble bien plus à un personnage destiné à ne se retrouver dans aucune vie.
Et l’existence qui le conduit à Rome le plonge dans une sorte de médiocrité entre des métiers non payés, l’alcool, le mépris de la société des dîners propre à la vie romaine.
C’est Arianna, une jeune fille fragile, au bord de la névrose et dont il tombe amoureux, qui l’entraîne dans l’alcoolisme, la haine systématique pour l’impossibilité de changer les choses. Si bien que ce roman est celui d’un nihiliste. Il met en exerque la relation impossible entre un être et une ville. Celle-ci, en dépit de sa faune, produit chez le héros une solitude crasse. Tout devient douloureux. Et ce, jusqu’à sa mort quelque peu suicidaire. Il est devenu la victime de la banalité de la vie dans laquelle il a coulé.
Était-ce déjà son cas lorsqu’il était à Milan, ou est-ce Rome qui a construit sa damnation ? Il va consommer au fond de cette plage où il était pleinement heureux pour la première fois un peu à l’image de « l’étranger » de Camus. A son image, il qui retourne contre lui-même le sentiment d’indifférence du monde car il n’a rien trouvé d’apaisant même dans l’amour
Léo plongé ou perdu dans Rome a fini par se rendre compte qu’il n’y a plus d’endroit dans le monde où il pouvait trouver « sa » place. Le retour au Nord est impossible, et le Sud semble un projet aussi inévitable qu’avorté. Si bien que, de chapitre en chapitre, se décrit la trajectoire que l’auteur définit ainsi : « Après tout, il est toujours. On fait des bonds hors de son chemin pour se tenir à l’écart et puis un beau jour, sans savoir comment, il est à l’intérieur d’une histoire qui l’emmène directement à la fin ».
La fin du livre est d’ailleurs déjà implicite dès le début, dans des suites d’événements et leurs récits qui ne pouvaient pas aller dans un autre sens que celui d’aucune sortie possible sinon dans la mort.
Qu’on soit naïf ou extrêmement intelligent n’y change rien : les choses sont perdues d’avance.
Et l’auteur l’écrit selon une invective résignée, qui serpente de page en page, et ce même lorsque le protagoniste dit qu’il n’a pas de récriminations et qu’il a joué ses cartes. Cela dans une fiction et son monde en miroir dans lequel la réalité a été privée de sens, en raison d’un cynisme volatile.
Il peut parfois être vécu comme une sorte d’ivresse. Mais par moments seulement.
lire la 2de critique du roman
jean-paul gavard-perret
Gianfranco Calligarich, Le dernier été en ville, trad. de l’italien, non signé, Gallimard, collection Du monde entier, Paris, 2021, 224 p.