Méduse, Ophélie, Otero et autres échappées belles
L’atelier galerie qu’Isa Sator vient d’ouvrir n’est pas n’importe quel endroit. L’artiste réserve à ses collectionneurs amis, aux amateurs d’art comme à tout curieux esthète “un boudoir de luxe tout droit sorti du 18eme siècle au goût de notre 21eme siècle”.
Ce lieu unique devient l’espace rêvé pour les oeuvres de la créatrice où elle présente ses semblables, ses soeurs.
Il y a là des Ophélie qu’on l’imagine voguer sur l’eau noire du sommeil. Mais ce sommeil est trompeur : il est fait pour que le regardeur s’y abandonne, charrié par le courant des lignes, ballotté par les sursauts de celles qui sont en fait des éveillées oniriques — parfois sorties de l’Histoire d’un gai Paris et des spectacles de diverses époques — au corps offerts, à l’âme fluente qui soulignent leur mystère.
Une sorte de “furor” placide habite de telles femmes heureuses de qui elles sont. C’est pourquoi elles fascinent de leur distinction de guerrières voire de femmes fatales. Ces “furiae” à la quiétude apparente deviennent des êtres qui, entre extase légère et perdition passagère, ne doutent pas de leur identité et la revendique.
Dans ces peintures se conjuguent à la fois une apesanteur mais aussi une puissance. Ces intrigantes chamarrées permettent à Isa Sator une plongée en elle-même, une remontée dans le dedans du dedans, ou, à l’inverse, une conscience subitement clairvoyante, brusquement lucide envers ce qui l’entoure même dans les déplacements d’époques.
La lucidité et la poésie picturale déconcertent. D’autant que de telles femmes semblent toujours savoir sur quel pied danser. Elles jouent d’ailleurs volontiers les coryphées et entraînent le regardeur dans leur sarabande. Formes et couleurs y participent.
Les cadrages rendent le corps aussi étranger qu’un objet dont on ne sait rien en croyant le connaître. Les couleurs profondes des aplats soulignent la puissance graphique. Elles confèrent à l’œuvre franchise, énergie et autorité. Sous les parures, ce sont bien des méduses qui surgissent.
Elles accèdent à une vie indépendante, elles font ce qu’elles veulent. Elles sont l’être magique qui agit en l’artiste, deviennent ses rêves. Le regardeur-voyeur peut-il avoir prise sur elles ?
Les œuvres jouent dans le suspense d’un tel face à face. Elles traitent de la vacance entre deux moments, deux actes. Les femmes sont pleinement elles dans leur théâtre mais tout autant dans l’entre-deux. Il y a là des miroirs en abîmes. Il y a aussi des tourbillons, des nuées.
Isa Sator peint des corps entre exhibition, et une feinte de relâchement, lâcher-prise, laisser-faire de fléchissement. C’est là la suprême séduction.
L’éclosion du corps devient soudain radieuse, et à vif.
De telles échappées belles ne sont pas des statues granitiques, elles ont raison de tout.
jean-paul gavard-perret
Isa Sator, Oeuvres, Atelier Galerie Isa Sator, 27 rue Jules Guesde, Levallois-Perret. A partir du 22 janvier 2021.
La suprême séduction est celle de JPGP balloté par toutes ces féminités dans une superbe sarabande lettrée au top des tops !