Pour les inconditionnels de l’auteur
Le lieu commun selon lequel la littérature française actuelle serait majoritairement nombriliste est illustré de plusieurs manières par ce livre.
Les lecteurs qui connaissent le grand succès de Gilles Paris, Autobiographie d’une courgette, risquent d’être déçus en découvrant que, contrairement à l’image d’écrivain plein d’empathie pour les plus malheureux que lui, image qui le rendait attachant, l’auteur se raconte ici avec un égocentrisme doublé par un manque de sensibilité flagrant quant aux douleurs d’autrui.
Le portrait de sa mère est particulièrement révélateur : Gilles Paris la présente comme une femme peu présente pour ses enfants, ce dont il lui en veut même à l’étape où elle s’est laissée engloutir par la détresse après son divorce. Il semble incapable de prendre du recul, ce qui ressort le mieux à travers les pages où il raconte comment il l’a encouragée à s’empoisonner, avant de la sauver en appelant les secours, un comportement qu’il juge toujours appréciable.
Par ailleurs, le lecteur n’a pas vraiment moyen de se représenter la mère, le père ou la sœur de l’auteur : Gilles Paris les décrit de façon si sommaire qu’ils font, jusqu’au bout de l’ouvrage, l’effet de vagues silhouettes plutôt que d’êtres vivants.
Qu’en est-il des gens qu’il aime davantage ? Sur son mari et compagnon de longue date, Laurent, on n’apprendra pas grand-chose, hormis qu’il a travaillé dans la mode avant de s’associer avec l’auteur, et qu’il le défend bec et ongles quand besoin est. Ce n’est pas assez pour faire un personnage digne de ce nom ; on espère que l’intéressé apprécie son portrait plus que nous.
A part le faible intérêt de l’auteur pour autrui, le récit frappe par son aspect redondant, allant d’une dépression à une autre, présentées de manières assez similaires, hormis le décor qui varie. On suppose que Gilles Paris les a narrées avec l’idée que les autres dépressifs qui liraient ce texte y trouveraient de quoi se sentir compris et encouragés à remonter la pente.
Hélas, on peut craindre qu’ils n’en tirent aucun profit, car la situation de l’auteur (objectivement privilégiée) et sa manière de se poser en exemple risquent plutôt de nuire à leur moral.
Si vous n’êtes pas un inconditionnel de Gilles Paris, mieux vaut attendre son ouvrage suivant.
agathe de lastyns
Gilles Paris, Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, Flammarion, janvier 2021, 220 p. – 19,00 €.