Sandrine Collette, Ces orages-là

Quel coup de ton­nerre ! Glaçant !

C’est l’été, il fait chaud. Une femme, vêtue d’une seule culotte de soie et d’une montre, court dans une forêt. Elle fuit un pré­da­teur qui… finit par s’abattre sur elle.
Clé­mence a trente ans. Elle vient de naître. Cette jeune femme, trop maigre, aux grands yeux timides, s’approprie l’espace d’une petite mai­son fort laide mais qui pos­sède un jar­din exu­bé­rant. Mal­gré son peu d’attraits, cette mai­son est son refuge. Clé­mence a fui. Elle est par­tie comme une voleuse, mais elle n’a rien volé. Elle, la vic­time idéale, était sous l’emprise d’un pré­da­teur. Tho­mas l’a iso­lée, a fait de sa vie un enfer, la mépri­sant, la rabais­sant sans cesse, puis la cajo­lant, pro­met­tant de chan­ger… avant de recommencer.

Aidée de Marion, le seul lien qui lui res­tait après qu’il lui ait fait cou­per toutes rela­tions, elle a pré­paré sa fuite. Depuis, elle se terre, elle a peur, elle essaie de repous­ser des pul­sions qui la ramè­ne­raient vers lui, pour un peu “d’amour”, pour vaincre sa soli­tude.
Elle est ter­ro­ri­sée, elle angoisse. Elle a déjà fui deux fois et, deux fois, il l’a retrouvée…

Avec ce nou­veau roman, San­drine Col­lette pro­pose le récit gla­çant d’une femme qui tente d’échapper au contrôle, à l’emprise d’un des­truc­teur. Clé­mence est d’une nature réser­vée. De plus, son appa­rence phy­sique ne l’aide pas à s’affirmer. Elle est maigre, ano­rexique disent cer­tains. Déjà petite, elle n’avait pas d’amies. Les acci­dents de la vie ne l’ont pas aidée pour aller vers les autres. Elle est douée, sauf pour les rela­tions humaines.
Aussi, quand un homme s’intéresse à elle, elle est vite conquise.

Et la roman­cière décrit les méca­nismes qui amènent à cette emprise totale, les pre­miers mois com­blés par les pré­ve­nances, puis les vexa­tions, les insultes, les cajo­le­ries et les pro­messes non tenues. Elle déroule, avec une pré­ci­sion chi­rur­gi­cale, le pro­ces­sus d’emprise, la déva­lua­tion : “Tu crois vrai­ment que tu vas retrou­ver quelqu’un, avec ta dégaine, ta pauvre gueule ?
Ce sont aussi les jeux cruels, ces mots, ces expres­sions, ces com­pa­rai­sons qui sapent le peu de confiance en elle. C’est la prise de conscience de cet enfer­me­ment, les affres pour cou­per les ponts, pour oublier, pour se retrou­ver. Ce sont les regrets, les êtres chers qu’elle a dû lais­ser der­rière elle et qu’elle a peur de recon­tac­ter car il manque une par­tie de leur vie, de sa vie.

Le récit est nourri de nom­breux sujets en lien avec l’intrigue, pour éclai­rer, pour ren­for­cer. Clé­mence a choisi le métier de bou­lan­gère. Elle raconte la façon d’être dans le four­nil, l’atmosphère qui y règne, le tra­vail des matières pre­mières, l’ambiance entre col­lègues, entre ceux qui sont dans l’ombre, en l’occurrence ici, des sil­houettes der­rière des vitres embuées et les ven­deuses en pleine lumière.
La nature, avec le petit jar­din luxu­riant, cette nature vierge qui est un élé­ment d’accroche de l’existence. C’est la manière dont le Cou­cou, cet oiseau qui pond dans le nid des autres, s’y prend pour ne pas atti­rer l’attention. C’est une approche prag­ma­tique des incon­vé­nients de la mai­greur, cette mai­greur que prônent comme modèle fémi­nin des détra­qués men­taux, des débiles profonds.

Avec une écri­ture inci­sive, un style direct, tendu, des mots cra­chés, des phrases sèches, elle fait res­sen­tir, éprou­ver les émo­tions, les sen­ti­ments, la ter­reur de cette superbe héroïne per­due dans un monde qu’elle ne sait plus appré­hen­der, les moments où elle pense se retrou­ver.
Elle est entou­rée par une petite gale­rie de per­son­nages qui se struc­ture sur­tout lors des flash-backs, sa vie pré­sente étant bien dépour­vue de rela­tions humaines.

Sandrine Col­lette entre­tient, avec maes­tria, le sus­pense et, en roman­cière sur­douée, mène la ten­sion de son récit vers une conclu­sion inat­ten­due.
Ces Orages-là est un roman magni­fi­que­ment construit avec un tra­vail appro­fondi sur l’état d’esprit res­senti par ces êtres si nom­breux qui vivent, plu­tôt qui ne vivent pas, sous l’emprise de destructeurs.

serge per­raud

San­drine Col­lette, Ces orages-là, JC Lat­tès, jan­vier 2021, 288 p. – 20,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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