Aux formes et couleurs sensuelles du monde font écho dans ce soliloque la disparition du paysage. Le locuteur victime provisoirement handicapée d’un attentat à Ostende devient l’inverse du héros incarné par James Stewart dans un film célèbre de Hitchcock.
A mesure que des travaux avancent sur le casino d’en face, la vue de sa fenêtre se bouche. L’ombre envahit et étend son « incompossible ». Celui-ci cache un monde supposé possible et qui n’offre aux êtres que la violence et la mort. Mais néanmoins sans provoquer une disparition totale.
A cause d’elle, la raison et la logique prennent le large. Nul bazar de la bienfaisance rationnelle et pas plus de rêve.
Le réel se décale et la ménagerie mentale tout autant.
L’humour tente de sauver, en sa grande fête sans fin, ce qui peut l’être. Car l’homme a besoin de voir, de croire voir, d’entrevoir. Au besoin il écartèle le besoin de croire.
Et ici, les héritiers d’Aristote et des Scolastiques d’un côté, de Pascal ou Leibniz de l’autre, en prennent implicitement pour leur grade. Pour leurs preuves déterminantes qui sont ici réduites à des naïvetés.
En fidèle héritier de Beckett, Toussaint renouvelle les visions de “l’école du regard” par effet d’effacement. Il reste le radical sceptique et drôle qui avec malice et sans provocation violente inocule les virus du doute dans une œuvre aussi romanesque que théâtrale.
Les deux restent plus fantasmagories que fantômes et gardent une indiscutable actualité.
jean-paul gavard-perret
Jean-Philippe Toussaint, La disparition du paysage, éditions de minuit, Paris, 2021, 48p. — 6, 80 €.