Mohammed Dib, Le Vœu de la septième lune

Masques

Je me suis enthou­siasmé à la lec­ture de la pièce inédite de Moham­med Dib, Le Vœu de la sep­tième lune.
Car il s’agit d’un texte servi par l’intelligence, proche du théâtre orien­tal, du théâtre Nô, en tout cas d’une dra­ma­tur­gie du masque.

L’his­toire au reste ne quitte pas le registre de per­son­nages typiques : la prin­cesse, l’empereur, le géné­ral félon, les pauvres pay­sans, les sui­vantes, les morts, pri­son­niers des filets de la mort et des tra­hi­sons.
Pièce ainsi qui oscille entre l’épique et le dra­ma­tique, le didac­tique et l’archétypal, théâtre de lec­ture et de scène, repré­sen­ta­tion occi­den­tale jetée sur les routes de l’Orient, un orient presque de pacotille.

Dire cela pour moi n’est pas péjo­ra­tif. Au contraire, il est dif­fi­cile de com­po­ser un texte avec les lignes très mar­quées de per­son­nages sté­réo­ty­piques, dont les traits doivent être recon­nais­sables de suite, direc­te­ment, sans ques­tion­ne­ment. Il en est de même de Sha­kes­peare, qui au sein d’une esthé­tique baroque, condense de grandes figures ico­niques : Othello, Ham­let, Richard III, Pros­péro, par exemple, qui dépassent le sta­tut d’êtres de papier, étant davan­tage des types éle­vés de la culture euro­péenne.
L’on recon­naît dans cette pièce de Dib, jus­te­ment Sha­kes­peare, ou le Jarry de Ubu, ou encore le Livre de Job.

Cet enthou­siasme ne m’a pas lâché. J’ai été séduit jusqu’au bout par cette manière faus­se­ment naïve de pro­po­ser une his­toire de mas­ca­rades chi­noises, une vraie his­toire lit­té­raire, construite sur un régime à la fois sque­let­tique et uni­ver­sel, quand sous le tra­ves­tis­se­ment l’on recon­naît une vision du monde, vision poli­tique évi­dem­ment, pro­ba­ble­ment ins­pi­rée du brech­tisme dont l’influence en 70 était impor­tante.
Pan­to­mime dan­sée à l’instar du Nô, écri­ture par­fois sque­let­tique de Genet, pour dres­ser le por­trait d’un uni­vers presque roma­nesque, orné de baga­telles, de carac­tères ins­pi­rés du kitsch.

L’on se trouve dans un orient de codes. Non­obs­tant, Dib s’approprie des sortes de cli­chés, qui se trouvent être plus des types — à la façon de la com­me­dia dell’arte — que de vrais per­son­nages.
Car il pro­pose des domi­nos, des loups, beau­coup plus ins­pi­rés du Dit du Genji que du film de sabre.

Quoi qu’il en soit, le res­sort dra­ma­tique revient, s’appuie sur des signes simples, recon­nais­sables, ceux de Roland Barthes de L’Empire des signes, ou de L’acteur qui ne revient pas de Georges Banu. Signes mini­maux, signes uni­ver­saux.
Lit­té­ra­ture scé­nique faite d’actes rituels orga­ni­sés grâce à des arché­types : les bons et les mau­vais. Les­quels au final se trouvent déter­ri­to­ria­li­sés dans leurs appel­la­tions : sont-ils bons ou mauvais ?

Il appar­tient sans doute au spec­ta­teur de déci­der, de démê­ler le poli­tique du poé­tique. Et pour finir encore, j’ai vu au cours de ma lec­ture se des­si­ner une espèce de Richard III sans bru­ta­lité, peut-être confronté au même déses­poir, détresse cepen­dant inno­cen­tée chez Dib par les sen­ti­ments amou­reux, sujet à des mou­ve­ments non plus de bru­ta­lité, mais nôtres, des atta­che­ments de base.
Le spec­ta­teur se trouve ainsi entiè­re­ment pris dans l’intrigue d’un conte étrange, apeu­rant, sem­blable à quelques lignes de chry­so­cale consi­gnées sur le dos d’une carte pos­tale venue du Japon ou de la Chine.

Il faut remer­cier Hervé San­son d’avoir retiré de l’ombre ce théâtre de Moham­med Dib, qui ici nous donne un peu du meilleur de lui-même.

didier ayres

Moham­med Dib, Le Vœu de la sep­tième lune, pré­sen­ta­tion Hervé San­son, éd. El Kalima, 2019 — 14,00 €.

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