L’artiste du livre
La première phrase reste pour Peter Wüthrich — dans un cycle prévu depuis longtemps où il collectionne des premières phrases de la littérature mondiale -: “Au commencement était le livre”.
C’est très souvent avec lui et selon différents traitement qu’il crée son cosmos.
Parfois avec de pittoresques installations au sol d’éditions identiques ou avec leurs envols dans l’espace d’exposition. Au besoin, il crée de très courtes histoires imagées autour de la joie, du sexe et de la mort.
Et ce, à partir des tissus de rubans marque-page jusqu’aux livres majeurs qui inspirent les êtres humains.
Avec les images sur le cycle de poèmes Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, l’artiste du livre trouve une manière surprenante de recréer l’ouvrage majeur du poète par sa matérialisation, sa déstructuration, son interprétation.
Pour décrypter Les Fleurs du Mal, Wüthrich coupe sans vergogne des pages du cycle de poèmes maudits (évacués de la première édition en 1866).
Ligne par ligne, les bouts de papier se désagrègent, littéralement et littérairement. Wüthrich charcute l’oeuvre à la manière d’un philologue.
Tout débouche néanmoins non dans la langue, mais dans des images. Elles deviennent celles de la poésie baudelairienne en une suite de serments arrachés à l’absence.
Les bandes de l’artiste éveillent à la souffrance et à la beauté des mots des poèmes.
Wüthrich repêche ainsi les textes bannis qui ne peuvent plus se lire ici qu’en segments épars-disjoints.
Il propose une algèbre fuyante qui ouvre les yeux sur la vie démesuré de l’éros et de la mort.
L’art déplace et transvase donc le propos poétique pour l’affûter en “lames” de fond qui maillent une connivence inédite entre texte et image.
jean-paul gavard-perret
Peter Wüthrich, Le cycle Les Fleurs du Mal, Galerie Gisèle Liner, Bâle, du 23 janvier au 6 mars 2021.