Le temps est au centre de l’oeuvre de Maximilien Friche. Il tente de la conjurer en inventant des histoires à bout de souffle où le paradis importe plus que l’enfer. Enfin presque.
Dans notre période de crise et d’un certain retour du tragique, l’auteur prend en charge des aventures pour gratter ses plaies en en devenant le couteau.
La capacité de la fiction est chez lui énorme. L’imaginaire aussi. Le tout contre une certaine “trivialité positive” qui le fait héritier de Baudelaire et de Sartre. Cela prouve qu’il est loin d’être l’usurpateur qu’il se prétend.
Adversaire du sol (pieds brûlés aux sables de son enfance), il refuse que l’ombre pèse sur ses roches de mots sauf s’il la porte lui-même pour la transformer en fable.
Maximilien Friche, Apôtres d’opérette, Les éditions Sans Escale, novembre 2020, 244 p.- 13,00 €.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le soleil. Cela signifie que la nuit n’a pas gagné et que mon angoisse appartient au passé. Une journée de plus à vivre. Une journée de moins à vivre. Verre à moitié vide ou verre à moitié plein, Il y a urgence de toute façon.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant sont des souvenirs d’avenir, classés au rayon des utopies. Heureusement, on peut toujours conjurer la déception d’avoir vieilli en écrivant des contes au passé simple. Mes rêves d’enfants sont devenus des vies non vécues à raconter, des histoires donc.
A quoi avez-vous renoncé ?
A la tragédie, à la souffrance volontaire, au suicide sur le long terme, à la galère, à la misère, à la damnation éternelle.
D’où venez-vous ?
Du silence, du bégaiement, de la syllabe avortée, du mot hésitant, du son voilé.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une plaie que je tripote volontiers, pour que cela saigne toujours un peu, sans me faire trop mal quand même.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un grand whisky sur fond de jazz ou de variété française, le volume un peu trop fort, engoncé dans un fauteuil aux accoudoirs très hauts.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres romanciers ?
Tout. Sinon je n’écrirais pas. Un écrivain est quelqu’un qui se distingue par nature. Je n’ai rien à voir avec les autres. Les autres sont d’ailleurs des vrais écrivains, des valeurs sûres. Moi je ne suis qu’un usurpateur. Je me vomis modestement pour mépriser la galerie, et ça fait des textes. Des pièges.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Un chemin de pierre, de cailloux, qui monte sur une colline et qui semble se déverser dans le ciel, comme une fontaine à l’envers, une fontaine grossière.
Et votre première lecture ?
Ma première vraie lecture est survenue tardivement dans ma vie. C’est à 14 ans, “Les hauts de Hurlevent”. Cela a duré plusieurs mois, je lis lentement. J’ai plongé dans un monde, une plaie ouverte à chaque page. C’était ce que je voulais.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute beaucoup de choses, assez peu de classique, hormis quelques contemporains pour me recoiffer les neurones. Sinon, j’écoute du jazz, avec une affection particulière pour Moustapha Kandirali, Ahmad Jamal ou encore Bojan Z, j’écoute pas mal d’électro flirtant avec le funk, comme Général Elektriks. Et puis mon gros faible, c’est la variété française. Jeune, je me shootais à Barbara et Véronique Sanson. Je me prenais pour une chanteuse à l’époque. Et puis vous citer en vrac Dominique A, Bertrand Betsch, Fauve, Superflu, Yves Simon, Pierre Lapointe, Lhasa…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“La nausée” de JP. Sartre. Sans hésiter. C’est mon lieu de pèlerinage.
Quel film vous fait pleurer ?
“La La Land”. Les scènes d’amour impossible et surtout d’amour gâché m’ont toujours fait pleurer, que le film soit bon ou mauvais d’ailleurs. En l’occurrence, celui-là, je le crois bon. Quand Emma Stone dit « je t’aimerai toujours » à Ryan Gosling, dans la conscience qu’ils se quittent pour toujours, alors j’ai la gorge qui fait des nœuds et je pleure.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Celui que j’engendre, à savoir Maximilien Friche.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A ma femme. Ecrire à quelqu’un, c’est en faire l’instrument de sa narration, c’est le tuer. Un roman est un charnier. Je ne peux pas écrire à ma femme et vouloir me marier avec elle. Il fallait choisir.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Toulouse, l’église de la Dalbade. Une église un peu fortifiée toute en brique avec des créneaux en haut, le tympan en céramique ressemble à un conte de fée, un livre ouvert au-dessus de l’entrée. Elle est toute blanche au-dedans. C’est là que j’ai commencé à écrire à l’oral, tout haut, tout fort, quand je parvenais à m’y enfermer seul. Je mettais mes tripes sur l’Autel, je voulais naître.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Tous les artistes et écrivains vivants. Nous sommes de la même époque et nous pouvons avoir de longues discussions à plaie ouverte. Avec les morts, c’est plus compliqué. Ce sont les vivants qui me modifient le plus. Discuter longuement avec le peintre Gérald Engelvin ou avec l’écrivain Aurélien Lemant peut me faire écrire des dizaines de livres.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un prix littéraire. Le Nobel.
Que défendez-vous ?
La dimension tragique de la vie. Il n’y a pas plus a-littéraire que cette tendance au développement personnel, que cette ambition à être bien dans sa peau et à s’épanouir.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
L’amour, c’est bien sûr détourner l’autre à son profit en se donnant l’illusion de se sacrifier. Mais finalement, la vérité est dans le temps qui passe, et le temps passé ensemble. Le temps, c’est tout de même ce que nous avons de plus précieux et le partager permet de misérer ensemble, vieillir ensemble, etc. C’est plus sympa d’aller à l’abattoir ensemble avec son paquet de souvenirs communs. C’est ça, l’amour. Au début ce n’est rien qu’un quiproquo, et il se réinscrit et nous reprogramme et ré-écrivant l’histoire.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
C’est l’aventure, le saut dans le vide. Il vaut mieux qu’il se passe quelque chose plutôt que rien, donc c’est oui. Et cette mise en mouvement fait naître immédiatement un petit regret de s’être fourré dans on ne sait quelle galère. Avec le temps, on sait que la galère est possible et on continue à dire oui, pour pouvoir encore tourner des pages, permettre à un livre de s’écrire quel que soit son auteur.
Et si le cœur vous en dit celle de Vialatte : “L’homme n’est que poussière c’est dire l’importance du plumeau” ?
Il faut balayer, aspirer tout ça, tout cet orgueil, toute cette prétention à être, toute cette folie d’engendrer un monde dont on est les héros, cette perversion d’écrire. Epoussetons le monde de notre présence. Mais… Pas trop vite, nous sommes peut-être des poussières d’étoile… Et puis, rien ne nous dit qu’il y a quelque chose sous la poussière. Si notre monde est notre fiction, le réel n’existe peut-être pas.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Qu’écrivez-vous en ce moment ?
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 21 décembre 2020.