Charles Pennequin, Père ancien

Ecriture-opéra

Père ancien fait de l’oeuvre de Pen­ne­quin le plus ardent plai­doyer contre l’abomination d’être trans­formé en corps. La ques­tion essen­tielle demeure la sui­vante : que se passe-t-il lorsque l’écriture elle-même s’affole de sinon son néant du moins de sa perte d’assise ?
Et ce, là où le bleu du ciel cher à Bataille prend un nou­vel angle : “ciel bleu l’air /en bas le bras / sied la braise / à plein d’âmes // ciel bleu signe / le rire dans la / rue la rumeur m’abuse / de plain-pied”.

La poé­sie devient le lieu où le sens se brise et se méta­mor­phose. Le texte est envahi par l’expérience du corps et nous immerge dans la décons­truc­tion des maté­riaux du lan­gage afin qu’ils pos­sèdent un autre impact sur nous. L’écriture est sou­dain un opéra — à savoir une ouver­ture.
Elle bavote, “péclote” pour inven­ter des lois, des rythmes enfouis dans les plis de textes venins et poi­sons du corps dont l’esprit n’arrive pas à sa cheville.

Dans une suite de 18 temps (sépa­rés entre le plus ancien et le plus récent de 23 ans) qui finissent presque tou­jours en drame, divers registres et tem­po­ra­li­tés se font échos là où ce n’est plus une main qui écrit mais la terre du cime­tière. Beckett n’est donc jamais loin.
Avec une angoisse au sein d’un éven­tail qui va du détail réa­liste et à la médi­ta­tion méta­phy­sique  Tout s’éjacule en des sortes de cou­pures et de rup­tures mais en cou­rant continu là où — et entre autres — un Arthur doit se débar­ras­ser d’un cadavre. Mais celui-ci revient “en mur­mu­rant ça cloche”.

Le corps n’est plus ce qu’il se doit, ce qu’il était voire ce qu’il devient dans une poé­sie de conca­té­na­tion. Y naît une langue arra­chée à la simple com­mu­ni­ca­tion d’usage. Il ne s’agit donc pas pour autant d’un dis­cours psy­cho­tique où le lan­gage som­bre­rait.
Sim­ple­ment, la langue aban­donne son rôle sym­bo­lique pour n’être que le mou­ve­ment mobile de pro­ces­sus pul­sion­nels qui se lâchent au bord du vide ou une sorte de fin programmatique.

Penne­quin y ins­crit des uni­tés ver­bales per­dues d’un secret ori­gi­nel, fami­lial mais pas seule­ment, en une pro­fon­deur quasi cryp­to­no­mique.
Mais du père ancien ‚qui peut pré­tendre connaître la victoire ?

jean–paul gvard-perret

Charles Pen­ne­quin, Père ancien, édi­tions P.O.L, 2020, 192 p. — 19,00 €.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Charles Pennequin, Père ancien

  1. Villeneuve

    « j’ai fait ce rêve du père il erre dedans cette ruine / intime la nuit titube les sou­coupes pleines… »
    « Père en fuite / dans mon pire / c’est le temps / mal signé / mal soi­gnant. »
    Pen­ne­quin le poé­tise si bien ce père qui apos­trophe le secret JPGP et la liseuse Villeneuve !

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