Bien que ce livre soit une œuvre de fiction avec une intrigue subtile autour de personnages énigmatiques, il repose en grande partie sur l’histoire authentique du naufrage du Sydney Cove en 1797, vers l’île de la Préservation dans le détroit de Bass.
C’est un passage qui n’avait pas encore été découvert à l’époque.
L’auteur indique que le journal de route, tenu par William Clark, où celui-ci consignait sa version des actes, est authentique. Il a servi, dix ans après les événements, de base à une retranscription dans une gazette de Calcutta, l’Asiatic Mirror. Il a disparu depuis.
Le romancier puise toutefois des éléments, retranscrit certains des passages dans son récit.
Le lieutenant Joshua Grayling, l’aide de camp de Son Excellence le gouverneur Hunter, informe celui-ci des faits. Un matelot, sur un petit bateau de pêche a repéré trois hommes dans un état pitoyable sur une plage. Ils ont été ramenés à Parramatta, une ville près de Sydney en Nouvelle-Galles du Sud. Ils sont des survivants du naufrage du Sydney Cove qui s’est échoué au nord de la terre de Van Diemen. Sur place, ils ont laissé une partie de l’équipage, ceux qui ne pouvaient prendre place dans la chaloupe. Celle-ci s’est brisée, plus tard, sur des récifs.
Il reste quatorze personnes très au sud. Les trois naufragés ont parcouru huit cent vingt-cinq kilomètres en un peu plus de deux mois. Il s’agit de William Clark, subrécargue du navire, d’un lascar qui lui sert de domestique et de John Figge, un marchand de thé voyageant sur ce voilier.
Clark avait une lettre du capitaine Hamilton destinée au Gouverneur et il a tenu un carnet de route de leur périple. Grayling s’entretient avec Figge qui, s’il est épuisé, semble en état de répondre à quelques questions. Ses réponses désarçonnent le lieutenant.
Figge se félicite de sa place. Il fera part de ce qui peut être dit, mais des points ne seront pas évoqués, en particulier ce qui s’est passé à Calcutta, point de départ du Sydney Cove…
Jock Serong sème le trouble dès le début avec les situations équivoques de protagonistes. Les marins qui les ont recueillis ont décrit une position des trois individus étrange les uns par rapport aux autres. Il entretient à merveille le suspense en donnant des faits, des morts, des cadavres, des rencontres plus ou moins tumultueuses avec des peuplades croisées sur leur trajet.
Le romancier alterne les points de vue, les témoignages, les récits, les souvenirs, les actions des trois principaux acteurs du drame. Le Lieutenant Joshua Grayling cherche la vérité, William Clark a été lancé dans cette aventure poussé par les circonstances et Figge dissimule un passé problématique, des mobiles bien funestes.
Le romancier livre une réflexion sur les rapports entre les colons, qui agissent en terrain conquis, et les peuples installés sur place depuis des millénaires. En introduction, Jock Serong donne de précieuses indications sur les appellations des différents peuples rencontrés par les rescapés du Sydney Cove lors de leur périple.
Le terme aborigène ne doit pas être employé selon le vœu des nations autochtones d’Australie car il réunit à tort en un seul groupe des peuples issus de divers horizons (Isabelle Chapman)
Ce roman se lit avec avidité tant les interactions entre les différents protagonistes sont équivoques, un récit mené avec brio mêlant réalité et fiction.
serge perraud
Jock Serong, Les Naufragés de la discorde (Preservation), traduit de l’anglais (Australie) par Isabelle Chapman, Éditions 10/18, coll. “Roman étranger”, octobre 2020, 368 p. – 18,90 €.