Initié à la poésie par Jude Stéfan, Bruno Fern fut à bonne école et d’emblée il s’est retrouvé parmi les créateurs significatifs et les irréguliers de la langue (Valère Novarina, Christian Prigent). Son dernier livre “encycliste” le prouve. Il fait perdre les pédales par le grand braquet que le poète utilise. Et cela ne manque pas de sel(le).
Multipliant les descentes dangereuses plutôt que de sucer du boyau dans les côtes, nul ne peut dire si un tel impétrant au cadre supérieur préfère la tour de Pise au tour de France. Mais il prend soin d’éviter de culbuter celles qui sont concentrées sur leur portable et autres inconsistantes de l’attention.
Quant à la langue, c’est une autre histoire… Les nerfs en pelote loin des pelotons, Fern invente des ellipses et des coupures pour que son livre soit une suite d’échappées et relances à bras et à mollets.
L’humour est ici à plusieurs niveaux. Un tel coureur (et pas seulement de jupons) crée un solo en rotations et cascades au sein de la fluctuation d’une étape dont se perdent le point de départ comme d’arrivée.
Bruno Fern, Dans les roues, éditions Louise Bottu, 2020.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Sans doute une certaine curiosité.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
La plupart sont toujours des rêves.
A quoi avez-vous renoncé ?
A devenir musicien de jazz.
D’où venez-vous ?
Disons de loin (fern en allemand) mais de quoi ?
Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
La rencontre avec Jude Stéfan, vers 16 ans, qui m’a heureusement préservé de la poésie lyrico-fadasse.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Ecrire sans en être trop insatisfait.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je me méfie de ceux qui se drapent dans leur “statut” d’artiste.
Quelle part le vélo possède-t-il dans votre oeuvre ?
Une part importante dans mon dernier livre intitulé Dans les roues (qui est aussi une référence à une pièce pour orgue de Messiaen) mais pas du tout par ailleurs.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Peut-être, vers 4–5 ans, celle des bottes de mon père, gigantesques mais vides.
Et votre première lecture ?
Enfant, je lisais en boucle la fameuse trilogie d’Alexandre Dumas, ne pouvant me résoudre à la mort de D’Artagnan !
Quelles musiques écoutez-vous ?
Surtout du jazz, de Duke Ellington à Michel Portal, et de la musique contemporaine (Kurtag, Ligeti, Xenakis).
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Ces derniers temps, “Point d’appui”, de Christian Prigent.
Quel film vous fait pleurer ?
M’ont fait pleurer “Shoah” de Lanzmann et “La Haine” de Kassovitz.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme qui vieillit.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’aurais voulu pouvoir écrire à Rimbaud après 1875.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Aucun.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
En littérature, une veine qui irait de Villon et Cervantès à Arno Schmidt, Ernst Jandl et Prigent.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un an de moins.
Que défendez-vous ?
Le droit à l’impureté, malgré toutes les tentatives de “purification” (ethnique, morale, littéraire, etc.).
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je préférerais donner quelque chose que j’ai (ou du moins que je crois avoir) à quelqu’un qui en voudrait.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Pouvez-vous répéter ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je l’ai oubliée moi aussi.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 décembre 2020.