lelitteraire.com propose de manière inédite à ses lecteurs ayant apprécié les billets “en marge” de Didier Ayres de découvrir chaque semaine une partie de son oeuvre théâtrale, “H.P. (Scènes de désespoir et de miracles)”.
avant-propos de l’auteur :
H.P. porte un regard sur l’institution psychiatrique. En 12 scènes on y retrouve l’essentiel des vrais moments d’un asile, des séquences véridiques de ce lieu de surveillance : les infirmiers, les patients, les thérapeutes, les familles, l’heure du thé dans l’après-midi, la nuit avec ou sans sommeil, la contention, les conversations entre les asilaires, etc. Ce qui ressort de cette plongée en milieu hospitalier, c’est la souffrance de tous et de chacun, douleur qui s’exprime soit par l’angoisse, soit par le rire.
C’est ce destin d’une communauté de vivants — comparables à des détenus — qui m’a poussé à imaginer cette pièce. La tension dramatique, tension d’êtres humains bousculés comme en une nef des fous, pour moi a fait théâtre (plus à mes yeux que la célébration d’un office religieux). Ce qui est sacré ici, c’est cette focale sur le fond de l’être. Ainsi, « le monde est un théâtre ».
didier ayres
lire la scène 8
Scène 9 :
Je peux ?
Essaye.
Je ne trouve pas.
Il faut un numéro.
Un code ?
Oui, un code.
Et après ?
On appuie là.
Essaye.
Et Pierre ?
C’est une vision.
Une crise. C’est ce qu’il a eu.
Une crise de solitude. Il faut être seul pour savoir ce que c’est qu’une crise. On a le vertige. Ça part. On est poursuivi. Puis, on tombe malade. C’est la crise.
Je peux ?
Essaye.
Comment ?
Il faut un code.
Un code ?
Tu rentres le code et tu fais le numéro.
Mais, comment ?
Avec le code.
Un code ?
Essaye au moins.
Et puis, ils me donnent des benzodiazépines.
…
…
Ça soigne.
Oui, ça agit. Je dis oui, ou je dis non. Je ne sais plus ce que je dis. Je suis perdu. Ils disent les facultés cog-ni-tives.
Ça s’améliore doucement. Ils disent que c’est à cause de l’argent, que tu ne voulais pas payer ton voyage jusqu’à Bâle, et puis moi, j’ai dit que tu serais peut-être mieux en France, dans une clinique, comme celle de Laborde. Mais, ils répondent que tu n’as pas assez d’autonomie.
Je peux ?
Essaye.
Oui, mais comment ?
Il faut un code.
Le code tu l’as ?
…
…
Fais le numéro.
Tu veux boire un café ?
C’est quoi le Destin ?
Tu veux boire un café ?
Oui, dans une brasserie.
On boit un café ?
On va là-bas.
Une brasserie.
…
Oui.