Quel talent !
Des dessins, encore des dessins, toujours des dessins. C’est par ces mots, en bas de trois planches de nus féminins, de bretteurs, d’un paysage maritime, que débute la présentation d’une partie du travail secret d’André Juillard.
Dans une introduction écrite pour 36 vues de la Tour Eiffel, il avait expliqué son besoin de dessiner, son envie de mettre sur du papier, avec un simple crayon de bois, ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qu’il découvre, ce qu’il imagine, ce qu’il admire de la nature sous toutes ses formes : “…le besoin irrésistible de témoigner de la séduction de ce qu’il voit…”
Avec Entracte, une biographie en images parue en 2006, le lecteur charmé pouvait découvrir à la fois une facette inconnue de l’auteur et les recherches, esquisses de ses bandes dessinées comme Le Cahier bleu, Les 7 Vies de l’Épervier, Blake et Mortimer…
Il s’agissait de dessins, croquis, maquettes que l’auteur jetait sur le papier pour le plaisir de dessiner.
André Juillard multiplie cet exercice, ayant besoin de dessiner autant que de respirer. Ces dessins, s’ils sont l’expression de son talent, montrent aussi la somme colossale de travail de ce créateur qui ne s’arrête jamais. S’il a longtemps fait ses études préparatoires sur des feuilles volantes, depuis le début des années 2000, il multiplie les carnets, les remplissant par dizaines !
C’est une partie de ceux-ci qui sont présentés dans ce luxueux volume, luxueux dans tous les sens du terme, dans l’approche du talent de ce dessinateur prodigieux, dans la réalisation physique de ce recueil.
Ces carnets sont annotés. Il en identifie l’achat, le lieu, la date, voire la matière. Ainsi, ce sont les croquis réalisé sur un carnet vert acheté à Buenos Aires, en mars 2004, qui ouvrent l’ouvrage avec quelques nus.
Le lecteur pénètre donc dans l’univers d’André Juillard à travers des extraits de dix-sept carnets, de compilations de feuilles de calque, de feuilles de couleurs.
Ce sont des tracés, des silhouettes, des dessins plus élaborés en noir et blanc avec de l’estompe, avec des touches de couleurs, de sanguine, voire un travail plus approfondi à la plume. Chaque page époustoufle que ce soit du pur Juillard ou qu’il s’inspire de sources diverses comme, par exemple, Ingres, Watteau, Helmut Newton, Klimt, Dali, Moebius…
On retrouve l’esprit de ce dernier. D’ailleurs, dans le carnet gris de 2008, en mars 2012 il dessine un bel hommage à Jean Giraud le jour de sa mort.
L’inspiration est très éclectique, mais on y retrouve, en nombre, ses héroïnes : Ariane, Louise, Eve, Lena… des paysages, des monuments, des sportifs, des portraits, des nus féminins qui rendent un bel hommage à la plus réussie des créatures humaines.
Il faut saluer le beau travail réalisé par les Éditions Daniel Maghen et celui de Vincent Odin pour sa conception et sa mise en pages.
Ce recueil permet de mesurer, si besoin était, tout le génie de ce dessinateur, une belle vision de ce qu’il sait faire. Ne dit-on pas de lui qu’il est capable de tout dessiner ? Cet album le prouve !
C’est une merveille à glisser sous le sapin de tous les amoureux de la beauté.
serge perraud
Juillard — Carnets secrets (2004 – 2020), Editions Daniel Maghen, novembre 2020, 412 p. – 59,00 €.