Un autoportrait de Massignon
La volumineuse correspondance des deux penseurs catholiques réserve au lecteur maintes surprises, pas toujours agréables. D’abord, le nombre et la longueur des missives de Maritain sont inférieurs de si loin aux textes de Massignon, que le recueil ressemble à une autobiographie épistolaire du second.
L’autoportrait qui se dessine au fil des pages offre certains traits admirables, notamment dans la première et la dernière parties de l’ouvrage : on y découvre un Massignon qui demande, en 1916, à quitter l’Etat-Major pour la troupe, considérant qu’autrement, il serait complice de crimes (pp. 113–116), un choix d’autant plus courageux que sa famille le désapprouve. De même, son engagement intellectuel pendant la guerre d’Algérie, maintenu envers et contre toutes sortes de difficultés, lui vaut une agression physique et deux arrestations, qu’il évoque avec un stoïcisme exemplaire.
Hélas, entre ces deux étapes du parcours de Massignon, ses lettres sont souvent loin d’engendrer la sympathie, ne serait-ce que parce qu’on y retrouve trop souvent certains leitmotive : la lutte contre ses tendances homosexuelles, et le repentir de s’y être adonné dans sa jeunesse ; les lamentations au sujet de sa femme et de ses enfants, qui semblent l’encombrer quand ils ne lui donnent pas la certitude d’être incompris ; le dolorisme, qui produit la fâcheuse impression que l’auteur est moins pieux que masochiste.
J’avoue avoir eu du mal à avaler, entre autres, ce propos : “La vie chrétienne est une mort lente : l’espérance est un reniement de la mémoire (nous connaissant, comment espérer naturellement faire du bien), la foi est un renoncement de l’intelligence, et la charité une abnégation de la volonté !“ (p. 215). Venant de la part d’un intellectuel, et qui a lu tous les penseurs chrétiens, une telle définition a de quoi vous éberluer – on se pince pour y croire.
Maints autres extraits des lettres de Massignon auraient de quoi faire flamber la haine du catholicisme chez les mangeurs de curés. Pire encore, on découvre qu’en 1938, Massignon a eu ce qu’il appelle “une crise d’antisémitisme“ (pp. 614–616), au sujet de l’éventuelle émigration en France des Juifs persécutés d’Europe Centrale. Ce qu’il écrit à ce propos est inqualifiable. Certes, il s’agit là d’un état d’esprit de brève durée, mais on a du mal à l’oublier en lisant la suite des lettres.
Autre découverte tout sauf appréciable : Massignon, pourvu d’une chaire au Collège de France, n’a rien fait pour aider Maritain à y trouver un poste, en 1948, en dépit de leurs affinités spirituelles et de leur longue amitié.
Non content de ce manquement, il s’est permis de lui faire la leçon, considérant que l’enseignant sans emploi était tenté par les “vains prestiges de la gloriole“, comme le malheureux le lui fait remarquer (pp. 662–668 et 695). C’est dire qu’on regrette, en fin de compte, d’avoir fait connaissance avec Louis Massignon plus amplement qu’au début de l’ouvrage.
Quant à Maritain, ses missives ne révèlent pas grand-chose qu’on ait pu ignorer. A quelques exceptions près, elles ont un faible intérêt pour le lecteur qui ne serait pas chercheur.
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agathe de lastyns
Jacques Maritain & Louis Massignon, Correspondance 1913–1962, Desclée de Brouwer, novembre 2020, 898 p. – 49,00 €.