Jacques Maritain & Louis Massignon, Correspondance 1913–1962

Un auto­por­trait de Massignon

La volu­mi­neuse cor­res­pon­dance des deux pen­seurs catho­liques réserve au lec­teur maintes sur­prises, pas tou­jours agréables. D’abord, le nombre et la lon­gueur des mis­sives de Mari­tain sont infé­rieurs de si loin aux textes de Mas­si­gnon, que le recueil res­semble à une auto­bio­gra­phie épis­to­laire du second.
L’autoportrait qui se des­sine au fil des pages offre cer­tains traits admi­rables, notam­ment dans la pre­mière et la der­nière par­ties de l’ouvrage : on y découvre un Mas­si­gnon qui demande, en 1916, à quit­ter l’Etat-Major pour la troupe, consi­dé­rant qu’autrement, il serait com­plice de crimes (pp. 113–116), un choix d’autant plus cou­ra­geux que sa famille le désap­prouve. De même, son enga­ge­ment intel­lec­tuel pen­dant la guerre d’Algérie, main­tenu envers et contre toutes sortes de dif­fi­cul­tés, lui vaut une agres­sion phy­sique et deux arres­ta­tions, qu’il évoque avec un stoï­cisme exemplaire.

Hélas, entre ces deux étapes du par­cours de Mas­si­gnon, ses lettres sont sou­vent loin d’engendrer la sym­pa­thie, ne serait-ce que parce qu’on y retrouve trop sou­vent cer­tains leit­mo­tive : la lutte contre ses ten­dances homo­sexuelles, et le repen­tir de s’y être adonné dans sa jeu­nesse ; les lamen­ta­tions au sujet de sa femme et de ses enfants, qui semblent l’encombrer quand ils ne lui donnent pas la cer­ti­tude d’être incom­pris ; le dolo­risme, qui pro­duit la fâcheuse impres­sion que l’auteur est moins pieux que maso­chiste.
J’avoue avoir eu du mal à ava­ler, entre autres, ce pro­pos : “La vie chré­tienne est une mort lente : l’espérance est un renie­ment de la mémoire (nous connais­sant, com­ment espé­rer natu­rel­le­ment faire du bien), la foi est un renon­ce­ment de l’intelligence, et la cha­rité une abné­ga­tion de la volonté !“ (p. 215). Venant de la part d’un intel­lec­tuel, et qui a lu tous les pen­seurs chré­tiens, une telle défi­ni­tion a de quoi vous éber­luer – on se pince pour y croire.

Maints autres extraits des lettres de Mas­si­gnon auraient de quoi faire flam­ber la haine du catho­li­cisme chez les man­geurs de curés. Pire encore, on découvre qu’en 1938, Mas­si­gnon a eu ce qu’il appelle “une crise d’antisémitisme“ (pp. 614–616), au sujet de l’éventuelle émi­gra­tion en France des Juifs per­sé­cu­tés d’Europe Cen­trale. Ce qu’il écrit à ce pro­pos est inqua­li­fiable. Certes, il s’agit là d’un état d’esprit de brève durée, mais on a du mal à l’oublier en lisant la suite des lettres.
Autre décou­verte tout sauf appré­ciable : Mas­si­gnon, pourvu d’une chaire au Col­lège de France, n’a rien fait pour aider Mari­tain à y trou­ver un poste, en 1948, en dépit de leurs affi­ni­tés spi­ri­tuelles et de leur longue amitié.

Non content de ce man­que­ment, il s’est per­mis de lui faire la leçon, consi­dé­rant que l’enseignant sans emploi était tenté par les “vains pres­tiges de la glo­riole“, comme le mal­heu­reux le lui fait remar­quer (pp. 662–668 et 695). C’est dire qu’on regrette, en fin de compte, d’avoir fait connais­sance avec Louis Mas­si­gnon plus ample­ment qu’au début de l’ouvrage.
Quant à Mari­tain, ses mis­sives ne révèlent pas grand-chose qu’on ait pu igno­rer. A quelques excep­tions près, elles ont un faible inté­rêt pour le lec­teur qui ne serait pas chercheur.

lire un extrait

agathe de lastyns

Jacques Mari­tain & Louis Mas­si­gnon, Cor­res­pon­dance 1913–1962, Des­clée de Brou­wer, novembre 2020, 898 p. – 49,00 €.

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