L’Affaire Jules Bathias

Valen­tin Moi­neau part en quête de son his­toire, de ses ancêtres et découvre un héros de la Grande guerre, mais qu’il lui faut réhabiliter

Ouvrir un “Sou­ris noire” pro­voque tou­jours quelque chose de par­ti­cu­lier. Quand l’ouvrage est de Patrick Péche­rot, ce quelque chose de par­ti­cu­lier se trans­mue. L’ivresse de la lec­ture nous sub­merge. Les mots se mettent à dan­ser devant nos yeux à mesure que Patrick Péche­rot nous emmène dans la machine à remon­ter le temps pour explo­rer tout un pan de l’histoire de Valen­tin Moi­neau, un élève doux et rêveur qu’une bande de gar­ne­ments plus bêtes que méchants a pris pour souffre-douleur. Le lea­der du groupe est le fils du pre­mier notable de la ville, quelqu’un qui a assis sa for­tune au len­de­main de la double mort de l’arrière-arrière-grand-père de Valentin.

Jules Bathias (1888–1917) est un poilu mort pen­dant la Grande Guerre. Sur le champ de bataille, et de façon trouble. Il aurait refusé de mon­ter au front où un car­nage effroyable atten­dait les hommes. Pris de folie, il aurait tenté de fuir avant d’être abattu. Il mou­rait une seconde fois. La pre­mière, il l’avait ren­con­trée dans le vil­lage de Valen­tin, à l’aube du pre­mier conflit mon­dial. Une his­toire d’amour qui com­mence bien mais où la jalou­sie d’un homme machia­vé­lique s’interpose. Ce der­nier éta­blit un plan odieux qui conduit à accu­ser de vol Jules Bathias, qui est condamné sans pou­voir se défendre. Seul moyen pour lui de s’en sor­tir : s’enrôler et se retrou­ver en pre­mière ligne comme chair à canon sous les ordres de cet homme jaloux qui avait fomenté son mau­vais coup.

La ques­tion qui hante Valen­tin est de savoir si l’histoire s’est répé­tée… Son père est mort alors qu’il ten­tait de réta­blir la vérité. Valen­tin en est sûr. Sa mère prend peur et fait tout pour l’empêcher de remuer le passé. Au bord du canal, la gérante d’un bar que fré­quen­tait son papa en sait plus qu’elle ne veut le dire. Sous un masque bou­gon et revêche, elle cache un cœur d’or et aussi une bonne dose de remords. Dans une mai­son de retraite, un ancien poilu, com­pa­gnon d’armes de Jules Bathias, se meurt, tour­menté par les vile­nies qu’il a com­mises ou laissé se pro­duire. Pour Valen­tin, accom­pa­gné d’une char­mante cama­rade de classe, l’heure de pas­ser à l’acte est arri­vée. Il est temps de quit­ter le monde des rêves et de réta­blir la vérité. Son père n’était pas un poi­vrot seule­ment capable de se noyer dans le canal. Son arrière-arrière-grand-père, lui, n’est qu’un héros issu des plus grands romans, trop bon pour exis­ter, et non le cri­mi­nel qu’on a voulu qu’il soit.

Patrick Péche­rot prouve que le Roman avec un “R” n’est pas mort. L’Affaire Jules Bathias pour­rait fort bien être adapté avec brio par Jacques Tardi qui ne peut qu’être sti­mulé par le sujet, et cette prose que n’aurait pas reniée Louis-Ferdinand Céline :
Ça tombe pire qu’à Gra­ve­lotte. Ber­cot est près de moi. Il regarde le capi­taine, là-bas, et son éclat de métal dans le ventre comme la croix des cal­vaires. Il pleut de l’acier. Le ciel noir dégueule du fer. Avec des éclairs par-dessus. Blancs à vous brû­ler les yeux. “Mon lieu­te­nant ! je gueule. Mon lieu­te­nant ! nom de Dieu, secouez-vous ! On va se faire enter­rer vivants !” Vraoum ! La terre s’ouvre. Vraoum ! C’est du vol­can, du magma en fusion, ça explose. Les copains hachés en pleine course.

Ce roman, qui mêle poé­sie, drame (pas­sion­nel et de fait divers) et His­toire est bien plus qu’un livre de jeu­nesse. S’il est à por­tée d’un enfant de 12 ans, à qui il pro­cu­rera éva­sion et rêve, c’est aussi un livre qu’un adulte ne doit pas rechi­gner à ouvrir, sous peine de se pri­ver d’un plai­sir monstrueux !

julien vedrenne

Patrick Péche­rot, L’Affaire Jules Bathias, Syros coll. “Sou­ris noire”, octobre 2006, 164 p. — 5,90 €.

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